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MONOGRAPHIES VÉGÉTALES[1]

LES PLANTES CÉLÈBRES OU LÉGENDAIRES

Voici une note intéressante extraite de l’un des ouvrages du savant voyageur de Humboldt, concernant la préparation du curare :

« Lorsque nous arrivâmes à l’Esméralda, la plupart des Indiens revenaient d’une expédition qu’ils avaient faite dans la région de l’Est, pour en rapporter la liane qui fournit le curare. L’Indien qui devait nous renseigner est connu dans la mission sous le nom de maître du poison.

« — Je sais, me dit-il, que les blancs ont le secret de fabriquer une certaine poudre noire qui a le défaut de faire du bruit, et fait fuir les animaux si on les manque. Le curare que nous préparons de père en fils est supérieur à ce que vous faites. C’est le suc d’une herbe qui tue tout bas, sans que l’on sache d’où le coup est parti. »

« C’est avec le suc d’une liane appelée béjuco que l’on compose ce fameux poison que l’Indien se glorifiait de savoir fabriquer. Cette plante croit en abondance sur la rive de l’Orénoque, au delà du Rio Annaguaca. C’est dans l’écorce que se trouve le redoutable suc. Les raclures de cette écorce sont broyées sur une pierre, puis l’on en fait une infusion à froid dont le liquide jaunâtre est filtré goutte à goutte dans un entonnoir en feuille de bananier. C’est ce liquide qui est la liqueur vénéneuse ; mais celle-ci n’acquiert toute sa force que lorsqu’elle est concentrée par évaporation faite sur le feu. »

Toutefois ce suc, quelque concentré qu’il soit, n’étant pas assez épais pour s’attacher à la pointe des flèches, on y mêle le jus d’une autre plante, suc visqueux et gluant, au contact duquel l’infusion bouillante noircit et se coagule en un sirop qui durcit en se refroidissant et c’est ce sirop coagulé qu’on vend dans le commerce sous le nom de curare.

Cette substance a été successivement étudiée, analysée par des chimistes et physiologistes français, parmi lesquels figurent les noms de Pelouze, de Boussingault, de Claude Bernard surtout, dont l’étude, autrefois publiée par la Revue des Deux Mondes, est restée l’un des documents les plus complets qu’aient fournis les travaux dont ce mystérieux poison a été l’objet pendant nombre d’années. L’on ne saurait imaginer, dit Claude Bernard, que nous citons de mémoire, une mort plus horrible que celle qu’occasionne cette redoutable substance, dont la propriété caractéristique est d’immobiliser le système nerveux, si bien que le patient, qui ne saurait se faire illusion sur le sort qui l’attend, assiste, dans toute la plénitude de ses facultés, à l’approche inéluctable de cette mort qui lentement envahit tous ses organes qu’enchaîne la paralysie. Ses membres inertes se refroidissent graduellement, la vie se réfugie dans sa tête dont les yeux seuls fonctionnent, dont l’intelligence persiste et ne s’éteint qu’avec le dernier soupir, dans l’angoisse inexprimable d’une impuissance qu’aucun moyen, que nul remède ne sauraient galvaniser.

Le Pavot (Papaver). — Du mot celtique papa, bouillie, par allusion à l’ancien et détestable usage de mettre des capsules de pavot dans la bouillie des enfants.

Le pavot, qui appartient à la famille des papavéracées, est une jolie plante d’un vert gai, parfois quelque peu grisâtre. Les deux espèces les plus connues sont le pavot coquelicot, dont les quatre pétales d’un

  1. Voir les nos 137 et suivants.