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temps-là consacraient leur vie à guerroyer entre eux.

— Quand ils ne détroussaient pas les voyageurs, tels de simples brigands », interrompit Hervé.

Yucca reprit :

« Le Jura donne l’impression d’un pays neuf, un pays qui s’éveillerait seulement à la vie. Il en va autrement ici : le Velay, c’est l’ancêtre. Il fait partie du massif central, celui qui forma la Gaule primitive : la première terre habitable, enfin. Que de générations ont dû s’y succéder !… »

Et, avec un sourire qui semblait se railler lui-même :

« Ne vous étonnez pas de mon érudition ; nous avons tous dû savoir ces choses, mais cela s’oublie… Ma science date d’hier soir. J’ai lu ces détails dans le livre d’archéologie qu’Hervé m’a prêté. J’y ai vu qu’avant les châteaux et autres demeures construites de main d’homme, ce qui servait d’habitation aux habitants de la contrée, c’étaient les grottes dont le pays est sillonné. Un fait curieux, et constaté récemment encore, les Vellaves et les Cévenols des temps féodaux y enterrèrent leurs morts. Ces grottes sont la résultante des convulsions terribles d’où est sortie la configuration actuelle de la contrée, évidemment. Quels hommes ont été les témoins de ces phénomènes géologiques ? Ah ! mes amis ! s’écria l’enthousiaste garçon, c’est à ce moment qu’il aurait fallu vivre ! s’endormir un soir sur le bord d’un lac ombragé par des palmiers, des sophoras, des lauriers, des magnolias, des mimosas…, se sentir soulevé dans le rêve, aux grondements furieux de cent cinquante volcans prêts à vomir la flamme, à laisser couler la lave, et, au matin, dominer du haut du mont Anis ou du dike d’Aiguilhe le pays transfiguré ! … Pas banal, ce spectacle-là. »

De Kosen riait aux larmes, à écouter son ami. Il demanda :

« As-tu calculé ce qu’aurait dû dormir cet heureux mortel, pour, ayant fermé les yeux à l’époque des magnolias et des palmiers, les rouvrir sur le mont Anis ? Peut-être dix siècles… peut-être davantage…

— Vraiment, interrompit Claire, les vallées étaient des lacs, et il croissait des mimosas sur leurs bords, mon cousin ?