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Thérèse lui rit au nez.

Elles venaient de quitter ensemble l’appartement et se disposaient à passer dans la partie opposée du château, occupée par Hervé et les petits, lorsque le baron émergea de l’escalier.

« Je montais la garde, dit-il. Pompon vient de s’endormir. Ma cousine, je suis confus de l’ennui que vous a causé ce gamin. Je vous offre nos excuses à tous les deux. Demeurez encore quelques minutes au château : le temps de faire connaissance avec ma sœur ; je n’ai pas pu vous présenter l’une à l’autre, au milieu de cet émoi.

— Je vais m’assurer que le petit malade n’a pas de fièvre, annonça Thérèse ; au revoir, Clairette. »

Elle s’engagea dans les corridors du premier étage, tandis qu’Hervé, offrant cérémonieusement le bras à sa cousine, la conduisait au salon, où Mme  de Ludan attendait.

De caractère, sinon de physionomie, elle était beaucoup plus Liernay-Sauvetal que son frère, Mme  de Ludan. Elle eût accueilli avec froideur, même peut-être avec ennui, la communication d’Hervé touchant leur origine, si son mari, esprit très droit, et qui avait sur elle une grande influence, n’eût manifesté sa sympathie et sa pitié pour les vieux parents dépossédés de leurs droits et de leurs joies d’aïeuls.

Toutefois, bien que ramenée de ce fait à de meilleurs sentiments de famille, Brigitte restait sans enthousiasme.

Elle accueillit Claire avec une bienveillance un peu hautaine.

Froissée par cette attitude, la jeune fille se retira presque aussitôt.

En la reconduisant jusqu’à mi-chemin, Hervé la remercia encore. Ils échangèrent une cordiale poignée de main.

« À tout à l’heure, ma cousine, j’ai une telle impatience de revoir grand’mère !

— Pensez-vous que Mme  de Ludan partage votre hâte ? fit Claire ironiquement.

— Elle ne l’a pas connue autant que moi. C’était tous les jours que nous nous faufilions avec mon père dans la vieille maison, et à n’importe quel moment. Ne soyez pas inquiète de la froideur de Brigitte ; cela fondra comme neige d’avril, en revoyant notre aïeule. »

Claire eut un geste vague, signifiant :

« Tant mieux !… » sans trop y croire.

Et elle poursuivit son chemin.

Peu après, de Kosen et sa sœur se rendaient chez Mme  Andelot.

Une légère émotion rosa le visage aristocratiquement pâle de Mme  de Ludan, lorsqu’elle revit la salle, puis la vieille dame, très peu changée, et occupant comme autrefois sa bergère à coussins de plume.

« Je me rappelle… je reconnais cette pièce… le piano était déjà à cette place… » murmura-t-elle à son frère, tout en franchissant l’espace qui la séparait de l’aïeule.

Et à celle-ci :

« Vous n’avez pas vieilli, madame. Je revois votre visage presque tel au fond de mes souvenirs.

— Bonjour, grand’mère chérie. Tu t’es bien portée en mon absence ? » demanda Hervé.

Il baisa le cher vieux visage et apporta sa chaise à sa place accoutumée.

« Tu es ici comme chez toi, observa Mme  de Ludan. Moi aussi… grand’mère… prononça-t-elle après avoir hésité deux secondes devant le nom familial, je voudrais vous embrasser. »

Son visage aux lignes altières, au profil chevalin, s’éclaira d’un joli sourire.

Hervé glissa un regard satisfait du côté de sa cousine, qui inclina la tête en signe qu’elle avait compris : la neige fondait peu à peu, en effet…

« C’est une orgueilleuse, mais elle prend mieux son parti de la situation que je ne l’aurais pensé », se dit-elle, tout en continuant d’observer le moindres changements de physionomie de Brigitte.

Faisant à mauvais jeu bon visage, Mme  de