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JULES VERNE

police anglaise eût été mise au courant de ce sanglant drame dont l’Alert avait été le théâtre dans l’anse Farmar, que d’autres cadavres eussent été découverts, peut-être même celui du capitaine Paxton ?… Et alors, quel était l’homme qui remplissait ses fonctions à bord de l’Alert ?…

Tous furent vite rassurés. Cette embarcation amenait la famille du jeune passager. Son père, sa mère, ses deux petites sœurs n’avaient pas eu la patience d’attendre le débarquement. Depuis plusieurs heures, ils guettaient l’arrivée du navire, ils montèrent à bord avant même que l’Alert eut pris son mouillage, et Hubert Perkins tomba dans les bras de ses parents.

L’île d’Antigoa, au point de vue administratif, est le chef-lieu d’une résidence qui comprend les îles Barbuda et Bedonda, ses voisines. En même temps, elle a rang de capitale au milieu de ce groupe des Antilles anglaises qui est relié sous le nom de Lieward-Islands, c’est-à-dire des îles du Vent, depuis les îles Vierges jusqu’à la Dominique.

C’est à Antigoa que résident le gouverneur, les présidents des conseils exécutif et législatif, nommés moitié par la Couronne, moitié par les censitaires. À noter que l’on y compte moins d’électeurs libres que de fonctionnaires. On le remarquera, cette composition du corps électoral n’est donc pas spéciale aux colonies françaises.

M. Perkins, un des membres du conseil exécutif, descendait des anciens colons qui suivirent le colonel Codington, et sa famille n’avait jamais quitté l’île. Après avoir conduit son fils en Europe, il était rentré à sa résidence d’Antigoa.

Comme de juste, les présentations furent faites dès que Hubert Perkins eut embrassé son père, sa mère et ses sœurs. M. Horatio Patterson, avant tous autres, reçut la poignée de main de M. Perkins, et ses jeunes compagnons furent honorés de la même faveur. Mais ce qui valut au mentor les compliments de Mrs Perkins, ce fut l’état de florissante santé des passagers de l’Alert, — compliments dont M. Patterson crut devoir reporter une bonne part au capitaine Paxton.

Harry Markel les accepta, d’ailleurs, avec sa froideur habituelle. Puis, après un salut, il vint à l’avant prendre ses dispositions pour affourcher le navire.

M. Perkins demanda tout d’abord à M. Patterson combien de temps devait durer la relâche à Antigoa.

« Quatre jours, monsieur Perkins, déclara M. Patterson. Nos jours sont comptés, comme on dit généralement de la vie humaine, et nous sommes soumis à un programme dont il ne faut pas s’écarter.

— C’est bien court, dit Mrs Perkins.

— Sans doute, ma chère amie, reprit M. Perkins, mais le temps du voyage est limité, et il y a encore nombre d’Antilles sur l’itinéraire…

Ars longa, vita brevis, ajouta M. Patterson, qui crut l’occasion opportune pour placer ce proverbe latin.

— Quoi qu’il en soit, dit M. Perkins, M. Patterson et les camarades de mon fils seront nos hôtes durant leur séjour…

— Monsieur Perkins, fit alors observer Roger Hinsdale, nous sommes dix à bord…

— Et assurément, ajouta M. Perkins, mon habitation serait trop petite pour vous héberger tous, mes jeunes amis !… Aussi on retiendra des chambres à l’hôtel, et vous viendrez vous asseoir à notre table.

— Dans ce cas, répondit Louis Clodion, peut-être vaudrait-il mieux rester sur l’Alert, sauf Hubert, monsieur Perkins ?… Pendant la journée, nous vous appartiendrons depuis le lever jusqu’au coucher du soleil. »

Cette combinaison, étant la meilleure, eut l’approbation de M. Patterson. Mais, évidemment, Harry Markel aurait préféré que les passagers prissent logement à terre. Le bâti-