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traire, partageaient dans une mesure, malgré leurs alarmes, l’enthousiasme des voyageurs et se lamentaient tout bas de ne pouvoir imiter les exploits de leur sœur future, Nicole Mauvilain. M. Massey, qui avait vaillamment fait ses preuves sur maint champ de bataille, eût été, plus encore que ses filles, heureux de partager les fatigues de cette croisade africaine ; et Le Guen, le factotum de la maison, se rappelant qu’il avait été gabier de son état, soupirait aussi à ses moments perdus pour les lauriers de la guerre ; sur quoi il était vertement rabroué par sa femme.

Car Martine, la brave et fidèle servante, pas plus que Mme Massey, ne partageait l’humeur martiale de la maisonnée. Courageuse et constante comme pas une dans toutes les épreuves partagées avec ses maîtres, indomptable quand la nécessité s’était présentée de faire face au danger, elle estimait que c’était folie de le chercher et désapprouvait hautement l’idée de voir les chers enfants, qu’elle avait vus naître et grandir, s’en aller risquer leur vie dans les plaines du Transvaal, dont elle n’avait cure.

« Qu’on se batte pour défendre son pays, c’est raisonnable ! arguait l’honnête Martine ; et, moi qui vous parle, j’ai montré les dents aux Prussiens, tout comme une autre !… Mais s’en aller se faire périr pour les Boers, ça a-t-il du bon sens, je vous le demande ?… »

Ce qui n’empêcha pas l’excellente femme de donner sans hésiter son consentement lorsque, le projet d’emmener Le Guen s’étant dessiné, on vint le soumettre tout d’abord à son approbation :

« À la bonne heure ! Au moins ils auront quelqu’un pour prendre soin d’eux, les pauvres chéris. Vas-y, va, Monsieur Le Guen, et tâche de me les rapporter sans rien de cassé.

— On fera ce qu’on pourra, Mâme Le Guen. »

Or Henri n’avait guère tardé à reconnaître que le conseil de Gérard était judicieux de tous points, et, de concert avec l’architecte en chef de l’Epiornis, il dépensait une activité dévorante pour mettre le chef-d’œuvre sur pied. Encore quelques heures, et il serait prêt ; or, les calculs les plus précis permettaient de l’espérer, en huit jours de voyage, neuf au plus, on toucherait le Transvaal. En dehors de cette rapidité que nul autre mode de transport ne pourrait égaler ou seulement approcher, l’Epiornis allait fournir un moyen excellent, — le seul — de secourir efficacement la prisonnière. Le capitaine Renaud le répétait avec raison : espérer que ses geôliers relâcheraient de bon gré Nicole Mauvilain, c’était folie ! Ergo, il fallait la libérer sans permission, et c’est ce dont se chargerait l’oiseau artificiel qui achevait de prendre figure sous le hangar de la pelouse. On trouverait moyen d’avertir la jeune fille : on descendrait la nuit au milieu du camp endormi, puis on s’envolerait en faisant un grand salut aux sentinelles britanniques… Gérard ne se possédait pas de joie à l’idée de leur jouer ce bon tour. Quatre jours avaient passé depuis l’arrivée de la lettre de Nicole ; le départ n’était plus seulement irrévocable, il était ouvertement décidé, et, une fois ce pas accompli, un grand soulagement régna dans les esprits. Mme Massey n’eut pas plus tôt accepté le cruel sacrifice que, faisant abnégation complète d’elle-même, elle voulut être la première à s’occuper de tous les détails matériels concernant l’équipement des voyageurs. Chargeant son visage de tout l’espoir qu’elle n’avait pas, elle s’attacha résolument à leur montrer cette sérénité, ce bon courage, cette confiance qui sont le meilleur viatique à emporter quand on s’en va vers l’inconnu. Lina, se modelant en tout sur sa mère adoptive, ne voulut pas montrer moins de résolution. Lorsque Henri et Gérard vinrent lui annoncer, un peu en tremblant, que le bon M. Weber voulait absolument faire partie de l’expédition, elle déclara avec un vaillant sourire qu’elle n’avait qu’à s’incliner ;