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veiller sur les petits, de moitié avec Mme de Ludan, laquelle n’eût pas consenti à faire un tel voyage et à assumer une charge si lourde sans la compagnie et le concours de Thérèse.

Mais, un peu avant la date fixée pour le départ, René avait pris la scarlatine. Il fallut attendre sa convalescence. Car… de le quitter !… Il était pour Yucca, aussi bien que pour elle, un être à part, aimé deux fois, comme un tout jeune frère, oui, mais aussi presque comme un enfant.

« Et Mme de Ludan, cette chère cousine Brigitte, fit Claire avec une pointe d’ironie, aurait-elle eu des malades dans sa maison, elle aussi ?

— Non, mais des visites imprévues, paraît-il.

— Hem !… C’est donc pour cela, poursuivit Claire, laissant de côté la sœur d’Hervé ; aussi je ne m’expliquais pas que René ne fût point au collège à cette époque de l’année.

— Vous savez à présent pourquoi ces longues vacances.

— Et c’est vous qui l’avez soigné ?

— Mon mari et moi, oui. Nous avions installé notre petite Fernande avec sa bonne, Mad et Jean à l’autre extrémité de la maison, sous la surveillance de mon père, ne gardant auprès de nous que bébé, impossible à éloigner, puisque je suis sa nourrice.

— Et la contagion ?… Vous ne la redoutiez pas ? vous êtes si jeune !

— Oh ! » fit Thérèse, tellement surprise de la question qu’elle ne sut comment y répondre. À la fin elle dit :

« On ne pense pas à cela, je vous l’assure, auprès des êtres chers. Vous le saurez plus tard.

— Croyez-vous ?

— Je l’espère et je vous le souhaite de tout mon cœur, répondit la jeune femme d’un ton grave.

— Vous me souhaitez d’avoir à exposer ma propre vie pour sauver celle de…

— De vos enfants, oui, ma petite amie, puisque vous avez le malheur de n’avoir ni frères ni sœurs à qui vous dévouer.

— Êtes-vous étonnante ! Je ne juge pas cela un malheur, moi. J’aime beaucoup mieux avoir mes parents pour moi toute seule. »

Thérèse secoua la tête en manière de protestation ; mais elle ne poussa pas la discussion plus loin.

Il est des vérités qui s’enseignent ; il en est d’autres qui doivent s’imposer d’elles-mêmes, sous l’irrésistible puissance des événements, pour être comprises.

Toute à sa nouvelle amie, Claire délaissait absolument grand’mère. Celle-ci ne manquait, il est vrai, ni de partenaires pour le jeu l’après-midi, ni de compagnie pour la distraire le reste du temps.

L’un des plus assidus était René. Lilou et Pompon se partageaient, ramenés à chaque instant vers Claire par leur inconcevable préférence.

Autant qu’elle le pouvait, celle-ci les renvoyait à grand’mère, ou bien si Thérèse, la devançant, venait passer l’après-midi chez Mme Andelot, vite elle leur livrait les vieux jouets, afin de se débarrasser de leur envahissante affection.

Sentant bien que le retour d’Hervé, et la présence de Mme de Ludan surtout, mettraient fin aux causeries intimes avec Thérèse, elle s’arrangeait pour ne rien perdre des bonnes heures qui lui restaient.

Ce qui retardait le retour de de Kosen, c’est qu’avant d’aller prendre à Compiègne sa sœur Brigitte, il avait poussé jusqu’à Brest, afin de voir Tiphaine.

Claire ne s’en plaignait pas. Elle, qui n’était guère timide, éprouvait en face de son cousin une impression qu’elle ne définissait point, mais qui ressemblait beaucoup à de la timidité, et cela lui était désagréable.

Certes, il s’était montré bien simple ; il avait laissé voir son émotion, lui, un homme,