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tête. Ses regards étaient fixes. Criton les lui ferma ainsi que sa bouche.

Telle fut la fin de notre ami, de l’homme, nous pouvons le dire, le meilleur, le plus sage et le plus juste de tous ceux que nous ayons jamais connus.

Oui, telle fut cette fin, cette mort solennelle et réconfortante tout à la fois qui peut servir et servira de sujet d’édification à tous ceux qui connaissent et connaîtront le nom de Socrate. Tous réfléchiront à ce fait, à ce phénomène moral d’une signification si haute, c’est qu’à mesure que s’éteignait en lui la vie matérielle, la vie morale resplendissait plus lumineuse et que c’est, le regard fixé par delà la tombe, dans l’aube d’une nouvelle vie dont il essayait de révéler les mystères à ses disciples, leur parlant de justice et de vérités éternelles, que mourut, dans la sérénité de son âme, celui que les siècles appelleront à jamais le « Juste d’Athènes ».

La mort de Socrate[1].

Quatre-vingts ans plus tard, Phocion eut la gloire de boire, lui aussi, la ciguë.

Philosophe distingué, capitaine habile, grand homme d’État, d’une austère vertu, d’un ardent patriotisme, Phocion fut accusé de trahison et condamné à mort, sans qu’on lui ait permis de se défendre. Il pouvait s’échapper ; mais, comme Socrate, il voulut obéir à l’inique sentence qui le frappait. L’un de ses amis étant venu lui dire en pleurant :

« Ô mon cher Phocion, quel indigne traitement pour un homme tel que vous !

— Je m’y attendais, répliqua-t-il, c’est le sort qu’ont éprouvé les plus illustres citoyens d’Athènes. »

L’usage de la ciguë se généralisa dans les pays riverains de la Méditerranée. Les habitants des îles grecques, de Marseille et de l’Espagne elle-même, faisaient des préparations où figurait toujours la ciguë, qu’on conservait dans un dépôt public et dont on se servait, soit pour la mise à mort de certains condamnés, soit comme moyen de suicide que l’on accordait, après jugement motivé d’un conseil spécial, à ceux qui, pour une raison ou pour une autre, voulaient se délivrer de la vie.

La plupart des auteurs qui se sont occupés de la ciguë et du rôle qu’elle jouait dans la

  1. Illustration de P. Philippoteaux, extraite de la Morale en action par l’Histoire (Collection Hetzel).