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on fait un si fréquent usage dans nombre de préparations culinaires, et, ce qui peut amener ces méprises, c’est que les deux plantes croissent ensemble en divers lieux cultivés. Toutefois, nous l’avons dit, les ressemblances ne sont que superficielles, et il suffit de les comparer avec quelque attention pour rendre saillants leurs caractères distinctifs. C’est ainsi que, dans le persil, les feuilles sont d’un vert clair, tandis que, dans la ciguë, elles sont d’un vert sombre très suspect. Chez le premier, ces feuilles sont largement dentées ; chez la seconde, elles sont incisées de fines découpures. L’odeur du persil froissé entre les doigts est aromatique : celle de la ciguë est désagréable et vireuse ; enfin, les tiges de cette dernière sont parsemées de taches livides qui ne sont pas sans analogie avec les maculatures de la peau d’un serpent.

Les effets toxiques de cette plante sont d’autant plus rapides qu’elle croît sous un climat de température plus élevée ; aussi est-ce en Espagne, en Italie et en Grèce, où ses propriétés redoutables avaient été dès longtemps constatées, que la ciguë a joué le triste rôle dont l’inoubliable souvenir stigmatisera, tant que durera l’histoire, les inventeurs de la coupe empoisonnée, où burent les Socrate, les Phocion et autres victimes de la démence populaire.

C’est au sein de la brillante Athènes, qu’a rendue si déplorablement célèbre la coupable versatilité de ses opinions et de ses jugements, que surgit l’idée de faire boire la ciguë aux hommes condamnés par sentence juridique — et quels hommes devinrent les victimes de ce tribunal infâme !

La première de ces victimes semble être Théramène, disciple de Socrate, et dont le rôle, comme général, orateur et magistrat, paraît avoir été d’une importance incontestable.

Sous la même tyrannie des Trente, Palémarque, un riche athénien, fut dénoncé aux magistrats, qui convoitaient ses richesses, et, lui aussi, il but la coupe empoisonnée. Le troisième condamné fut Socrate, et de quel poids fut chargée la conscience humaine par ce crime inexpiable !

Ce qu’il faut savoir, et ne pas oublier, c’est que Socrate était plus et mieux qu’un philosophe, c’était un révélateur, un théosophe initié aux mystères sacrés des sanctuaires égyptiens, où il avait puisé ces hautes et larges notions de sagesse, de justice, de tolérance et de spiritualité qu’il enseignait à ses disciples, et dont Platon, dans ses dialogues, fait ressortir la sublime et sereine profondeur.

Les détails qui nous ont été transmis sur les derniers moments de Socrate sont plus ou moins connus dans leur ensemble ; mais combien de gens les ignorent, et dans quels traités de philosophie, ou quel livre de morale pourrait-on trouver des enseignements plus réconfortants, plus édifiants, au sens propre de ce mot, qu’en ces pages où Platon fait raconter par Phédon, l’un des personnages de ses dialogues, les derniers incidents de la vie du philosophe d’Athènes ? Résumons, en quelques lignes, le récit de cette scène incomparable.

Dès le jour où fut prononcée sa sentence de mort, Socrate avait été mis aux fers, et c’est dans sa prison que quelques-uns de ses amis et de ses disciples, une vingtaine environ, venaient le visiter et passer auprès de lui la journée presque entière, écoutant dans le recueillement d’une profonde tristesse ses causeries amicales, ses enseignements, voire même les consolations qu’il leur donnait sur le bord de la tombe, lui, le condamné qui, dans son impassible sérénité, les exhortait à reprendre courage quand il les voyait fondre en larmes à ses pieds.

Ce jour-là — jour qui fut le dernier — et pendant lequel il avait longuement dialogué avec eux sur la vie et ses devoirs, sur la mort et sa véritable nature, sur l’immortalité de