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BOURSES DE VOYAGE

Ainsi fut-il fait. Le 5, à neuf heures du soir, le trois-mâts mit dehors sous la direction d’un pilote de Philsburg. La nuit était claire, la lune presque pleine, la mer belle, couverte par les hauteurs de l’île dont on peut longer le littoral à moins d’un quart de mille. La brise favorable permettait de naviguer grand largue, tribord amures.

Les passagers restèrent sur le pont jusqu’à minuit sous le charme de cette traversée nocturne ; puis ils regagnèrent leurs cabines et ne se réveillèrent qu’au moment où l’Alert prenait son mouillage.

Marigot est une ville plus commerçante que Philsburg. Elle s’élève sur le bord d’un bayou qui établit la communication entre la baie et l’étang de Simpson. Cet ensemble constitue un port très sûr, bien défendu contre la houle du large. Là fréquentent en grand nombre les navires de long cours ou de cabotage, attirés par les franchises que Marigot leur assure. C’est, d’ailleurs, la ville la plus importante de Saint-Martin.

Au reste les passagers ne devaient point avoir à regretter le voyage. Ils eurent leur part de l’excellent accueil que les colons français firent à deux de leurs compatriotes. La sympathie qu’ils témoignaient ne tint aucun compte des nationalités diverses, et, au banquet qui serait offert par les autorités de la ville, on ne verrait que des Antilians, réunis autour de la même table.

Ce fut un des principaux négociants de la ville, M. Anselme Guillon, qui organisa cette réception. Elle comprendrait une quarantaine de personnes, et, naturellement, dans sa pensée, le capitaine de l’Alert serait invité à figurer parmi les convives.

M. Guillon se rendit à bord et pria Harry Markel de prendre part à ce banquet qui aurait lieu le jour même dans la salle communale.

Cependant, si audacieux qu’il fût, Harry Markel ne voulut point accepter l’invitation. En vain, M. Patterson joignit-il ses instances à celles de M. Guillon. Tous deux échouèrent devant l’inébranlable résolution que leur opposa le capitaine de l’Alert. Pas plus à Saint-Martin qu’à Saint-Thomas ou à Sainte-Croix, il n’entendait quitter son bord, et il ne permettrait à aucun de ses hommes de descendre à terre.

« Nous regretterons votre absence, capitaine Paxton, déclara M. Guillon. Le bien que nous ont dit de vous ces jeunes gens, les soins dont ils sont l’objet pendant cette campagne de l’Alert, le désir qu’ils avaient de vous témoigner publiquement leur reconnaissance, ces motifs m’ont encouragé à insister près de vous, et je suis fâché de ne point avoir réussi. »

Pour conclure, Harry Markel s’inclina froidement, et le négociant se fit reconduire au quai.

Mais il faut avouer que, de même qu’à M. Christian Harboe, le capitaine de l’Alert ne lui laissa pas une impression favorable. Cette physionomie dure et farouche, où toute une existence de violences et de forfaits avait laissé son empreinte, cela était bien pour inspirer l’antipathie sinon la défiance. Mais comment ne pas s’en rapporter aux dires des passagers et de M. Horatio Patterson, lorsqu’ils faisaient l’éloge du capitaine Paxton ? N’avait-il pas été choisi par Mrs Kethlen Seymour ?… Cette dame ne s’était certainement pas décidée sans sérieuses informations et bonnes références…

Au surplus, il s’en était fallu de bien peu que la situation de Harry Markel et de sa bande n’eût été compromise et même perdue. Il est vrai, cette circonstance ne put qu’accréditer la confiance que M. Guillon et les notables de Marigot devaient avoir dans le capitaine et son équipage.

En effet, la veille de l’arrivée de l’Alert, le brick Fire-Fly, de nationalité anglaise, se trouvait encore à Marigot. Son capitaine con-