Page:Hetzel - Verne - Magasin d’Éducation et de Récréation, 1903, tomes 17 et 18.djvu/364

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
356
JULES VERNE

Philsburg, — est-il nécessaire de couper quelquefois la langue de terre qui la limite du côté du littoral, et d’y introduire, dans une forte mesure, les eaux de la mer.

Albertus Leuwen n’avait aucun membre de sa famille à Saint-Martin. Tous habitaient Rotterdam en Hollande depuis une quinzaine d’années. Lui-même avait quitté Philsburg si jeune pour venir en Europe, qu’il ne conservait aucun souvenir de l’île. En somme, de tous ces lauréats Antilians, il n’était que Hubert Perkins dont les parents fussent restés dans la colonie anglaise d’Antigoa. Ce ne serait donc pour Albertus Leuwen qu’une occasion de remettre le pied, et pour la dernière fois sans doute, sur le sol natal.

Si Saint-Martin se partage entre la France et la Hollande, il ne faudrait pas croire que l’élément britannique n’y fût pas représenté. Sur une population de sept mille âmes environ, on compte trois mille cinq cents Français ; mais les Anglais sont au nombre de trois mille quatre cents, ce qui établit à peu près l’égalité numérique. On voit ce qu’il reste de Hollandais.

La liberté du trafic est grande à Saint-Martin, et l’autonomie administrative presque complète. De là une véritable prospérité. Que les salines de l’île soient entre les mains d’une compagnie franco-hollandaise, peu importe. Les Anglais ont d’autres branches de commerce à exploiter, plus spécialement tout ce qui concerne les objets de consommation, et leurs comptoirs, bien fournis, sont toujours bien achalandés.

La relâche de l’Alert à Saint-Martin ne dura que vingt-quatre heures, du moins au mouillage de Philsburg.

Là, ni Harry Markel ni aucun des siens n’avaient à craindre d’être reconnus. À tout prendre, ce danger serait plus à redouter aux Antilles anglaises, Sainte-Lucie, Antigoa, la Dominique, où ils devaient se rendre, et plus particulièrement peut-être à la Barbade, résidence de Mrs Kethlen Seymour, où se prolongerait assurément le séjour des lauréats d’Antilian School.

M. Patterson et ses jeunes compagnons n’eurent qu’à se promener dans la longue rue que forme cette ville de Philsburg, dont les maisons s’élèvent sur l’étroite plage de l’ouest, au bord de la mer.

Il semblait que, la visite d’Albertus Leuwen accomplie, l’Alert n’aurait plus eu qu’à remettre à la voile. Mais, en leur qualité de Français, Louis Clodion et Tony Renault désiraient vivement faire acte de présence sur la partie française de l’île située dans la zone septentrionale, et qui occupe à peu près les deux tiers de sa surface totale.

Marigot en est la capitale, — un nom qui n’a rien de hollandais, on le voit. Aussi comprendra-t-on que Louis Clodion et Tony Renault eussent grande envie de passer une journée au moins à Marigot.

Le Mentor fut pressenti à cet égard, et cette excursion, d’ailleurs, ne modifierait en rien l’itinéraire.

Et que l’on ne s’étonne pas si le digne homme estima la demande toute naturelle.

« Puisque Albertus a foulé ici le sol de la Hollande, dit-il, pourquoi Louis et Tony, Arcades ambo, n’y fouleraient-ils pas le sol de la France ? »

En conséquence, M. Horatio Patterson alla trouver Harry Markel et lui fit connaître la proposition, qu’il appuya de sa haute autorité :

« Quelle est votre réponse, capitaine Paxton ?… » demanda-t-il.

Harry Markel, et pour cause, eût préféré ne point multiplier les points de relâche. Mais, cette fois, il n’aurait eu aucune bonne raison à refuser de conduire ses passagers sur un autre point de l’île. En partant le soir, l’Alert serait le lendemain à Marigot, d’où, après quarante-huit heures, il partirait pour Saint-Barthélemy.