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Qui eût appris, patiemment, à Yvonnaïk tout ce qu’il savait ? Qui eût donné « du cœur à l’ouvrage » au vieux Charlik et fait les trois quarts de la besogne de Jeannie, si bien, disait celle-ci, que c’était une joie de travailler pour la bonne demoiselle du château.

Et qui, dans ce village perdu au fond de la Bretagne, eût porté des secours aux pauvres, des remèdes aux malades, des consolations aux affligés, si Mlle Manon de Valjacquelein n’eût été là ?

Qui donc, surtout, eût été pour son père, le chevalier Adhémar de Valjacquelein, ce qu’elle était, elle, Manon, depuis la mort de sa mère…

Il y avait douze ans que la mère de Manon n’était plus ; douze ans que ses beaux yeux s’étaient fermés pour toujours et que sa voix d’ange attristée de se sentir destinée à mourir jeune s’était tue. Douze ans que la grande chambre qu’elle habitait restait vide, et que son fauteuil, où si longtemps elle avait souffert, était vide auprès de sa table à écrire, son livre encore ouvert à la même page, ces choses gardées à leur place d’autrefois par la main pieuse de Manon. La jeune femme s’était envolée, laissant en souvenir d’elle un tout petit Yvon au berceau. À son lit de mort, elle avait attiré dans ses bras Manon, qui n’avait pas beaucoup plus de dix ans, et, lui montrant les êtres qui lui étaient chers, le père et l’enfant, ainsi que la tête blanche du vieillard, elle avait murmuré :

« Remplace-moi, Manon. »

Manon, subitement grandie, avait refoulé ses larmes, maîtrisé sa douleur :

« Mère, s’était-elle écriée, je te promets !… »

Et la mère s’en était allée, tranquille, connaissant sa Manon, si jeune qu’elle fût.

On avait vu alors Manon, très calme en apparence, très mince sous ses habits de deuil, très pâle sous ses longs voiles noirs, mais résolue, énergique et tendre à la fois, affirmer ses droits quand on lui objectait sa jeunesse :

« Maman l’a dit. »

Que pouvait-on répondre à cela !

Le berceau d’Yvonnaïk avait été, par elle, transporté dans sa propre chambre, et cette maman suppléante de dix ans s’était révélée sur-le-champ parfaite. Elle-même avait élevé le petit Yves, nourri au biberon, avait veillé sur lui à tout instant, écartant avec un soin jaloux toute main mercenaire, mais toujours à la hauteur de sa tâche, à force de volonté et d’amour.

La servante affectée spécialement au petit