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est-ce un faux bruit… Tant de fois, ils se sont vantés d’avoir capturé l’un ou l’autre des Mauvilain… Hélas ! plusieurs d’entre eux leur ont laissé leur dépouille, mais jamais avant qu’un cœur intrépide eût cessé de l’animer… Dites, capitaine, par qui avez-vous appris la capture de Mlle Mauvilain ?

— Par mes propres yeux, dit l’officier placide et apitoyé.

— Mais je croyais que vous aviez toujours guerroyé du côté du Cap, que vous ne vous étiez point rapproché du champ d’action où les Mauvilain défendaient comme des lions leur foyer en danger… Si j’avais pu penser un instant que vous les aviez rencontrés, mon premier mot n’eût-il pas été pour vous demander de leurs nouvelles !

— Les hasards de la campagne m’ont amené, il y a deux mois à peu près, sur le Transvaal propre, vers la limite où il prend le nom de Rhodesia. C’est là que j’ai rencontré cette admirable jeune fille. Nous avons combattu ensemble à l’affaire de Perekopje. C’est là que nous avons été faits prisonniers, — moi, parce que mon bras fracassé m’avait laissé sans connaissance sur le terrain ; elle, l’incomparable héroïne, parce que, sitôt fini de se battre, elle s’était mise au métier d’ambulancière… Quand je suis revenu à moi, au camp de Modderfontein, je l’ai retrouvée, active, calme, comme toujours, au milieu de cette scène d’horreur et de misère : tendre aux petits, habile à soigner les souffrants, regardant sans pâlir les plaies les plus hideuses ; pansant d’une main ferme et légère les blessures atroces que laisse la balle dumdum, secourable à tous, et accompagnant ce ministère de pitié de paroles plus précieuses encore… J’en parle à bon escient : sa douce présence, ses soins intelligents, ses encouragements mont rendu supportables des moments assez durs… Une vraie sainte… Un ange, je vous dis !… »

Et, sentant sa voix s’étrangler, le brave capitaine se contenta de montrer son bras mutilé, comme complément de son récit.

« Oh ! fit Henri, après une longue poignée de main silencieusement échangée, il ne se peut que nous durions ainsi davantage ! Je pars !… Rien ne peut désormais me retenir !… Je l’arracherai à cette cruelle captivité !… Mon père n’est pas sans amis, sans influence !… Nous mettrons tout en œuvre !… Un pareil état de choses ne peut se prolonger !… On ne retient pas des femmes prisonnières !… C’est inhumain ! barbare ! Cela crie vengeance ! C’est contraire à toutes les traditions d’un peuple civilisé, chevaleresque !…

— Hum ! lit le capitaine. Il ne faudrait pas s’emballer sur cet espoir. Mlle Nicole a été prise les armes à la main. Nul n’ignore qu’elle est aussi bonne tireuse, aussi indomptable patriote, aussi terrible adversaire que pouvaient l’être son père ou ses frères : dès lors, pourquoi la relâcherait-on ? Il faut être équitable ; ne pas attendre de l’ennemi un excès de générosité qu’on ne pratiquerait pas soi-même, le cas échéant.

— Mais, vous-même, n’avez-vous pas été relâché ?

— Le cas est différent. Je suis hors de combat, tandis que Mlle Mauvilain n’a pas reçu la moindre égratignure dans les vingt affaires où elle a si vaillamment besogné. Par le ciel ! cette jeune fille est protégée par un charme ! Elle se meut au milieu des balles, de la poudre, du massacre, de l’air pestilentiel des camps, de la misère et des fatigues… aussi aisément que nous le pouvons faire à cette heure sous l’ombre bienfaisante de ces arbres…

— Ah ! interrompit Henri se tordant les mains, n’est-il pas affolant de penser que nous jouissons ici de nos aises, de la liberté, de tous les biens, tandis que là-bas !… Capitaine ! n’avez-vous pas exagéré par bonté d’âme ?… Est-elle aussi bien portante que vous dites ? N’a-t-elle vraiment reçu aucune atteinte soit en sa santé, soit en son courage ?

— Je vous donne ma parole d’honneur que,