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vous entendez ! Je suis votre tante. Êtes-vous contents ? Et ma mère-vieux est aussi la vôtre ; j’espère que vous allez perdre vos allures de mendiants. Vous ne pourrez plus dire que vous n’avez point eu de grand’mère, « zamais, zamais ! »

Et, revenant à de Kosen, qui riait à l’entendre :

« M’avez-vous fait chercher !

— Vous ne soupçonnez pas, ma cousine, la part que vous avez à cette réunion. Je suis rentré à Vielprat l’automne dernier, averti que mon devoir était de découvrir quelque chose, sans une donnée, sans rien qui me guidât dans mes recherches, rattachât mes souvenirs l’un à l’autre. Moi aussi, allez, il m’a fallu chercher. Le premier chaînon a été l’escalier que vous m’avez rouvert ; puis le petit soulier perdu jadis. Partant de là, j’ai pu enfin remonter le passé, me rappeler certains détails… et revenir au vieux nid…

« Mon père, c’est votre oncle Philippe, dont voici le portrait : vous verrez le pareil chez moi. Évidemment les deux datent de la même époque, celle où Philippe Andelot est devenu baron de Kosen par adoption ; adoption régulière, légale, ratifiée par jugement. »

Et, devant la physionomie ébahie de Clairette :

« Vous allez comprendre, affirma Hervé avec un sourire. Philippe Andelot a été adopté par le général baron de Brheul de Kosen, quand ce dernier eut perdu son seul fils, afin qu’un nom et un titre chers également à notre grand-père Andelot et à lui, parce qu’il avait été conquis sur les champs de bataille arrosés de leur sang à tous les deux, ne pût pas disparaître. Rien de plus simple, vous le voyez, ma cousine.

— Rien de plus simple, en effet. Aussi, je ne m’explique pas cette lacune dans les relations de famille.

— Grand’mère connaît à présent tous les dessous de ce long malentendu ; elle vous renseignera, répondit Hervé, à qui il en coûtait d’avouer que sa mère seule en était responsable.

— En me servant de secrétaire, forcément elle apprendra tout, dit grand’mère, que, depuis un instant, Hervé avait ramenée à son siège habituel.

— Hervé, observa à ce moment Yucca, tu vas manquer ton train : il nous reste bien juste le temps d’être au Puy pour l’heure du départ, avec vos chemins de traverse pas commodes. »

Tandis que le voyageur prenait congé de grand’mère et des vieilles cousines, Thérèse disait à Claire :

« Venez donc me tenir compagnie demain ; je serai seule. M. de Kosen emmène mon mari, afin de lui faire visiter une fois encore, à loisir, le Puy, cette ville unique au monde comme situation ; vous la connaissez en détail ?

— Oh, oui ! on m’a montré, il y a trois ans, tous ses vieux monuments ; je suis montée sur le rocher Corneille et même sur le rocher de Saint-Michel ! J’ai été partout. Vous allez passer une agréable journée, monsieur Murcy, ajouta la jeune fille ; je vous envie un peu.

— Si vous venez voir ma sœur Thérèse, je ferai votre portrait, annonça René d’un ton engageant.

— Et moi aussi, répétèrent Lilou et Pompon, qui prétendaient imiter en tout leur camarade.

— Alors, à demain », promit Claire.

Et, se tournant vers son cousin :

« Je le prendrai pour aller chez vous, ce fameux escalier… Vous savez déjà que ce ne sera pas la première fois. »

Elle rougit encore un peu, en confessant son indiscrète promenade ; mais Hervé riait d’un air si bon enfant qu’elle se sentit absoute.

P. Perrault.

(La suite prochainement.)