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JULES VERNE

point affinées dans l’exercice de leur profession, au contact de matelots grossiers. Mais nul doute que son impression n’eût point été favorable au premier abord, lorsqu’il fit la connaissance de Harry Markel et de son équipage. Après tout, l’Alert avait été bien commandé pendant le voyage, la traversée heureuse, et c’était le principal.

Une demi-heure après, les passagers débarquèrent sur le quai de Charlotte-Amalia, et se dirigèrent vers la maison de M. Christian Harboe.

Dès qu’ils furent partis :

« Eh bien, Harry, il me semble que tout s’arrange à merveille jusqu’ici ?… observa John Carpenter.

— Comme tu dis… répliqua Harry Markel. Mais il faut, durant nos relâches, redoubler de prudence…

— On sera prudent, Harry, et personne de nous n’a envie de compromettre le succès de cette campagne… Elle a bien commencé et elle finira de même…

— Sûr, John, du moment que le capitaine Paxton n’est connu de personne à Saint-Thomas. D’ailleurs, tu veilleras à ce qu’aucun de nos gens ne descende à terre ! »

Il avait raison, Harry Markel, d’empêcher son équipage de quitter le bord. À courir les tavernes et les taps, à boire outre mesure, — ce qui leur arrivait toutes les fois qu’on les abandonnait à eux-mêmes, — ces matelots auraient pu laisser échapper quelque parole suspecte, et mieux valait les consigner rigoureusement sur l’Alert.

« Juste, Harry, reprit John Carpenter, et, s’ils ont tant envie de boire, on leur donnera double ou triple ration… Maintenant, les passagers sont à terre pour trois jours, et, si nos gens avalent un coup de trop à bord, peu importe ! »

Au surplus, l’équipage de l’Alert, quoique enclin à s’abandonner aux excès, à se dédommager dans les ports des abstinences de la navigation, comprenait ce que la situation avait de grave. À la condition de se tenir, ils ne la compromettraient point. Pour cela, il fallait se résoudre à éviter tout contact avec la population de l’île, avec ces marins de toute nationalité qui hantent les cabarets du port, ne pas s’exposer enfin à ce que l’un des pirates de l’Halifax pût être reconnu de ces aventuriers qui ont couru toutes les mers. Donc, ordre formel d’Harry Markel que personne ne descendrait à terre, d’une part, et, de l’autre, qu’on ne laisserait aucun étranger venir à bord.

La maison de négoce de M. Christian Harboe était située sur le quai. C’est en ce quartier commerçant que se traitent des affaires considérables, puisque, rien qu’à l’importation, leur chiffre s’élève à cinq millions six cent mille francs, pour une population de douze mille âmes.

Dans cette île, les jeunes passagers n’eussent pas été embarrassés de « prendre langue » puisqu’on y parle l’espagnol, le danois, le hollandais, l’anglais, le français, et ils pourraient encore se croire dans les classes d’Antilian School sous la direction de M. Ardagh.

L’habitation familiale de M. Christian Harboe était située en dehors de la ville, à un mille environ, sur la pente de la montagne qui s’élève en amphithéâtre au bord de la mer.

Là sont disposées dans une situation délicieuse les villas des riches colons de l’île, au milieu de ces arbres magnifiques de la zone tropicale. Celle de M. Christian Harboe était l’une des plus confortables et des plus élégantes.

Sept ans auparavant, M. Christian Harboe avait épousé une jeune Danoise appartenant à l’une des meilleures familles de la colonie, et deux petites filles étaient nées de ce mariage. Quel accueil la jeune femme fit à son beau-frère, qu’elle ne connaissait pas encore, et aux camarades de celui-ci qui lui furent présentés ! Quant à Niels, jamais oncle n’em-