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JULES VERNE

tua dans les conditions les meilleures. Un temps magnifique, sous le souffle constant des alizés, permettait à l’Alert de porter toute sa voilure, même ses bonnettes.

Décidément, M. Horatio Patterson était aguerri. À peine si, parfois, un coup de roulis ou de tangage un peu plus violent lui causait quelque malaise. Il avait même pu réoccuper sa place à table et se débarrasser du noyau de cerise qu’il persistait à garder dans sa bouche.

« Vous avez raison… monsieur, lui répétait Corty. Il n’y a encore que cela contre le mal de mer…

— Je le pense, mon ami, répondait M. Patterson, et, par bonheur, je suis abondamment pourvu de ces noyaux antipélagalgiques, grâce à la prévoyante Mme  Patterson. »

La journée s’acheva ainsi. Après avoir éprouvé les impatiences du départ, les jeunes lauréats éprouvaient les impatiences de l’arrivée. Il leur tardait d’avoir mis le pied sur la première île des Antilles.

Du reste, aux approches de l’archipel, des navires assez nombreux, steamers ou voiliers, animaient la mer : ceux qui cherchaient à gagner le golfe du Mexique à travers le détroit de la Floride, et ceux qui en sortaient pour rallier les ports de l’ancien continent. Pour ces jeunes garçons, quelle joie de les signaler, de les croiser, d’échanger des saluts avec les pavillons anglais, américains, français, espagnols, les plus habitués de ces parages !

Avant le coucher du soleil, l’Alert courait sur le dix-septième parallèle, en latitude de Saint-Thomas, dont il n’était plus séparé que par une vingtaine de milles. C’eût été l’affaire de quelques heures.

Mais, non sans raison, Harry Markel ne voulait pas s’aventurer de nuit au milieu du semis d’îlots et d’écueils qui horde les limites de l’archipel, et, par son ordre, John Carpenter dut diminuer la voilure. Le maître d’équipage fit amener les cacatoès, les perroquets, la flèche d’artimon, la brigantine, et l’Alert resta sous ses deux huniers, sa misaine et ses focs.

La nuit ne fut aucunement troublée. La brise avait plutôt calmi, et le soleil, le lendemain, se leva sur un horizon très pur.

Vers neuf heures, on entendit un cri dans les barres du grand mât.

C’était Tony Renault qui criait d’une voix éclatante et joyeuse :

« Terre par tribord devant… terre ! »

XIV
Saint-Thomas et Sainte-Croix.

Il a été précédemment exposé que les Indes occidentales ne comprennent pas moins de trois cents îles et îlots. En réalité le nom d’îles n’est dû qu’à quarante-deux soit pour leurs dimensions, soit pour leur importance géographique. De ces quarante-deux îles, neuf seulement devaient recevoir la visite des lauréats d’Antilian School.

Toutes appartiennent au groupe désigné sous le nom de Petites-Antilles, et, d’une façon plus particulière, îles du Vent. Les Anglais en font deux parts : la première, qui se développe au nord depuis les îles Vierges jusqu’à la Dominique, ils l’appellent Leeward islands ; la seconde, qui s’étend depuis la Martinique jusqu’à la Trinidad, ils la nomment Windward islands.

Il n’y a pas lieu d’adopter cette dénomination. Cet ensemble insulaire que limite à l’ouest la Méditerranée américaine, mérite le nom d’îles du Vent puisqu’il reçoit le premier souffle des alizés qui se propagent de l’est à l’ouest.

C’est à travers le réseau de ces îles que s’échangent les eaux de l’Atlantique et de la mer antilienne. Élisée Reclus a pu les com-