Page:Hetzel - Verne - Magasin d’Éducation et de Récréation, 1903, tomes 17 et 18.djvu/318

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

« Article 6. — Quant au pays qui est au sud des Ksour des deux gouvernements, comme il n’y a pas d’eau, qu’il est inhabitable, et que c’est le désert proprement dit, toute délimitation en serait superflue. »

Ainsi donc, à cette époque, nous ne soupçonnions pas l’existence des oasis sahariennes.

Il faut dire qu’elles étaient inexplorées. Un seul voyageur les avait atteintes, et avait pu visiter le groupe du Tidikelt : le major anglais Laing.

Mais cet explorateur, venu de Tripoli, ayant poussé jusqu’à Tombouctou, avait été assassiné, en 1820, à deux journées de marche de la ville sainte du Soudan, dont on venait de le chasser, et ses notes de voyage furent perdues.

Les premières notions que nous en reçûmes, après notre installation à Géryville, nous vinrent des caravanes.

Quel était en effet leur but, à ces migrations annuelles, régulières de départ et de retour ? Leur brièveté ne permettait pas de supposer que nos indigènes descendaient jusqu’au Soudan ; il fallait croire alors qu’il existait des marchés intermédiaires où les produits pouvaient s’écouler, s’échanger. Ainsi l’on apprit l’existence de groupes d’oasis, dont les plus rapprochées n’étaient pas à moins de cent cinquante lieues de nos Ksour.

Un pays sans doute intéressant à étudier, supposa-t-on ; qui sait même s’il ne devait pas être possible de l’ouvrir au commerce français ?…

On se renseigna auprès des indigènes sur ces régions, puis on se décida à les faire explorer, à voir le parti qu’on en pouvait tirer. En 1860, deux officiers de Géryville, MM. Colonieu, commandant supérieur du cercle, et Burin, capitaine, chef du bureau arabe, furent désignés pour essayer d’y pénétrer, d’y nouer même des relations commerciales.

Ils devaient se joindre aux caravanes des Oulad Sidi Cheikh. Avec la protection de Si Bou Beker[1], notre fidèle allié, dont l’influence religieuse s’étendait jusque-là, rien ne devait être plus facile.

MM. Colonieu et Burin lancèrent d’abord aux populations gourariennes une sorte de manifeste :

« … Votre pays ne produit ni métaux, ni épices, ni cotonnades, ni une foule de choses essentielles à la vie. Vous les achetez aujourd’hui très cher parce qu’ils viennent de très loin. Nos marchands vous les procureront à meilleur compte. Vous y trouverez votre intérêt, comme nous le nôtre, et notre amitié en sera augmentée… »

Puis, s’étant munis d’une pacotille, ils partirent. Malheureusement, avec eux, marchaient une centaine de cavaliers armés. Ce déploiement de forces les perdit. Les Gourariens le grossirent dans leurs propos, l’exagérèrent, se persuadèrent enfin qu’on venait commencer la conquête de leur pays.

Aussi, non seulement la plupart des Ksour refusèrent-ils de recevoir les officiers, mais, dans quelques-uns même, comme Timmimoun, qui est la principale ville du Gourara, ceux-ci trouvèrent les murs couverts d’hommes en armes, prêts à s’opposer par la force à leur approche. Pour ne pas empêcher absolument les caravanes de faire leurs échanges habituels, ils durent s’éloigner.

Leur voyage manqua donc son but. Il éveilla aussi des craintes dans les oasis, qui, pour assurer leur indépendance, envoyèrent des présents au sultan du Maroc, et lui demandèrent de faire acte de suzerain en leur nommant des caïds. Et, depuis lors, la prière officielle du vendredi cessa d’être faite, chez elles, au nom du sultan de Constantinople, pour le devenir au nom du sultan du Maroc.

Ce résultat fâcheux fut constaté, en 1864,

  1. Si Bou Beker, héritier de la baraca de Sidi Cheikh, à la mort du khalifa Sidi Hamza, son père ; bachagha des Oulad Sidi Cheikh.