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« Ah ! comme je compris alors combien ma mère m’aimait, malgré toutes mes fautes !

« Je me sentis soulagé d’un poids immense quand j’eus l’assurance de mon pardon ; et, plus d’une fois depuis, à l’heure de la tentation, le souvenir de cette journée a été pour moi une sauvegarde ; je ne crois pas avoir jamais de nouveau trahi la confiance de ma mère.

« Enfant, rappelle-toi l’ardoise de l’oncle Jean, si tu es tentée de désobéir, ou de faire en cachette ce que tu sais être mal. Pense au chagrin qu’en éprouverait ta mère, et aux cuisants remords qui t’accableraient ensuite.

« La conscience est un guide sûr : sa voix ne nous trompe pas ; écoute-la toujours, chère petite ; c’est le secret de la paix et du bonheur. »

M. S.


FILLE UNIQUE

CHAPITRE VIII (Suite.)

Et, quittant ce sujet pénible, elle reprit :

« Ta mère a été très franche. Elle n’a employé aucun détour pour nous exposer sa pensée. Lorsqu’elle est revenue à son château de Vielprat, sans toi ni tes sœurs, après la mort de son mari, elle nous a fait une seule visite, et cela a été pour nous dire : « C’est un adieu. Si votre fils avait vécu, j’aurais respecté le sentiment filial qui le ramenait vers vous. Sa mort me laisse libre de ce côté ; je vois l’avenir de mes enfants d’une façon tout autre que Philippe ; j’en suis seule chargée désormais ; ne trouvez pas mauvais que j’oriente leur vie selon mes vues. Si mon monde à moi, ma famille, à qui je l’ai toujours soigneusement caché, mes alliés, mes amis, tous ceux enfin au milieu de qui ils doivent s’élever et vivre, voyaient en eux des petits-fils de paysans, ils les rejetteraient ou les traiteraient comme nous traitons les gens de noblesse douteuse, faciles aux mésalliances. Je ne puis supporter l’idée d’une telle humiliation : cela dépasse mes forces. Le lien que la mort vient de dénouer à demi, j’achève de le rompre. Soyez courageux. Vous avez d’autres petits-enfants, votre famille est nombreuse ; je n’emporte donc pas le remords de vous laisser tout à fait isolés. Faites-moi la promesse que, ni vous ni les vôtres ne chercherez jamais à vous rapprocher des enfants de Philippe. Je simplifierai votre tâche, au reste. Le château et la propriété ont été mis en vente hier. Quittons-nous sans haine. Je vous le dis en toute sincérité ; jamais la pensée ne me serait venue de vous imposer cette séparation si je n’y voyais pas le bonheur de mes enfants. » Que répondre à cela ?… Nous avons promis et fait notre sacrifice. Ton grand-père, n’a pas eu longtemps à en souffrir ; il est mort l’année suivante. Mais moi !… C’est long, mon petit, vingt-deux ans !… C’était un nouveau deuil que je portais ; et celui-là, — le votre, mes trois chéris qui m’étiez arrachés, — était plus cruel encore que les deux autres, je crois.

— Oui, mais il est fini. Personne ne peut ni me reprendre ma grand’mère, ni te reprendre à moi. »

D’un geste grave elle leva un doigt vers le ciel.

« Dieu… », murmura-t-il, embrassant du regard le corps frêle, la pâleur des traits, tous les signes de vieillesse chez son aïeule.

Mais bientôt, souriant :

« Dieu ne le voudra pas. Tu vas rajeunir !