Page:Hetzel - Verne - Magasin d’Éducation et de Récréation, 1903, tomes 17 et 18.djvu/308

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sonneur était parfaitement établie, que les Germains et les Gaulois trempaient la pointe de leurs flèches pour en rendre la blessure mortelle.

Fables et traditions à part, il est incontestable que l’aconit est une plante fort dangereuse. À en croire Hésychius, auteur d’une vie d’Aristote — qu’il soit bien entendu que je ne garantis rien — c’est avec une décoction d’aconit que l’illustre philosophe grec s’est empoisonné à Chalcis en Eubée, pour prévenir un arrêt de mort qu’avaient lancé contre lui les Grecs, impardonnablement coupables déjà de la mort de Socrate, et auxquels il voulut épargner la honte d’un nouveau crime.

On tire des feuilles de l’aconit un alcaloïde nommé aconitine, qui fournit aux médecins un puissant stimulant des organes glanduleux. L’espèce la plus vénéneuse est l’aconit féroce, qu’on trouve dans certaines vallées de l’Himalaya.

Puisque nous sommes sur les poisons, voici que se présente une autre plante, non moins redoutable que l’aconit, dont nous allons nous occuper et d’autant plus qu’elle fournit au grand chapitre des légendes et même à l’histoire, une de leurs pages les plus tragiques.

Ed. Grimard.

(La suite prochainement.)

L’ARDOISE DE L’ONCLE JEAN

Un de nos plus grands plaisirs, dans notre enfance, était de venir passer les après-midi du jeudi chez l’oncle Jean. Mes frères appréciaient beaucoup le jardin, ou encore la galerie décorée d’armes et de trophées, recueillis au cours des nombreux voyages du vieux capitaine de vaisseau. Quant à moi, je préférais les récits, palpitants d’intérêt, que nous faisait notre oncle, à cette heure indécise que certains appellent « entre chien et loup », et que nous avions nommée « l’heure des voyages ».

Réunis autour du vieillard, au coin de la grande cheminée où pétillait un gai feu de bois, nous suivions le narrateur, en imagination, bien loin, jusqu’en Amérique ou en Australie… Il avait tant d’aventures extraordinaires à nous conter ! et il les disait si bien, que nous l’écoutions sans nous lasser ; jamais pourtant aucune de ces histoires merveilleuses ne fit sur moi une impression aussi profonde que le simple récit d’un souvenir d’enfance de mon oncle. Je fus seule à l’entendre ; mes frères étaient au jardin, et moi je regardais des albums d’images. En rangeant ceux-ci dans la bibliothèque, j’aperçus sur un rayon une ardoise ébréchée, branlante dans son cadre de bois ; je demandai à mon oncle pourquoi il l’avait placée là. Il se retourna et, m’attirant sur ses genoux, me dit :

« Fillette, cette ardoise me rappelle un vif chagrin et en même temps une très grande joie que j’eus à ton âge ; je ne puis la voir sans émotion, et je l’ai gardée en souvenir de la leçon qu’elle symbolise pour moi. »

La voix de mon oncle s’était faite grave ; je ne compris pas très bien alors le sens de ses paroles, et peut-être s’en aperçut-il ; il continua :

« On venait de me donner un petit bateau à voiles et je me réjouissais à la pensée de le faire naviguer sur le bassin du jardin. Mais, ce jour-là, ma mère étant souffrante, la femme de chambre ne put m’accompagner comme à l’habitude, et l’on m’envoya jouer tout seul au jardin. Ma mère me permit d’emporter mon bateau pour le faire flotter sur les tonneaux d’eau de pluie du potager, non sans m’avoir recommandé d’être prudent, de ne pas me salir, et défendu d’approcher du bassin.