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BOURSES DE VOYAGE

Le lieutenant se retourna à cet instant vers le groupe des passagers, et, s’adressant au Mentor :

« Monsieur Patterson… d’Antilian School, sans doute ?… dit-il.

— En personne, monsieur l’officier », répondit l’économe, qui salua en développant tout le cérémonial de sa politesse habituelle.

Puis il ajouta :

« J’ai l’honneur de vous présenter mes jeunes compagnons de voyage, en vous priant d’agréer l’assurance de ma très distinguée et très respectueuse considération…

— Signé : Horatio Patterson ! » murmura Tony Renault.

De sympathiques shake hands furent alors échangés avec cette précision automatique spéciale aux poignées de main anglo-saxonnes.

Le lieutenant, revenant alors vers Harry Markel, lui demanda à voir son équipage — ce qui ne laissa pas de paraître très suspect et très inquiétant à John Carpenter. Pourquoi donc cet officier prétendait-il les passer en revue ?…

Toutefois, sur l’ordre d’Harry Markel, il fit monter ses hommes sur le pont, et ceux-ci se rangèrent au pied du grand mât. En dépit des efforts que ces bandits firent pour se donner l’apparence d’honnêtes gens, peut-être les officiers pensèrent-ils qu’ils avaient une mine peu rassurante.

« Vous n’avez que neuf matelots ?… interrogea le lieutenant.

— Neuf, répondit Harry Markel.

— Cependant, nous avions été informés que l’équipage de l’Alert en comprenait dix… sans vous compter, capitaine Paxton… »

Question assez embarrassante, à laquelle Harry Markel évita tout d’abord de répondre, en disant :

« Monsieur l’officier… puis-je savoir pour quel motif j’ai l’honneur de vous avoir à mon bord ?… »

Il était naturel, en somme, que le lieutenant fut questionné à ce sujet, et il répondit :

« Tout simplement l’inquiétude où l’on était, à la Barbade, par suite du retard de l’Alert… Aux Antilles comme en Europe, les familles se sont préoccupées de ce retard. Mrs Kethlen Seymour a fait des démarches auprès du gouverneur, et Son Excellence a expédié l’Essex au-devant de l’Alert. Voilà les seules raisons de notre présence en ces parages, et, je le répète, nous sommes très heureux que nos craintes aient été vaines ! »

Devant ce témoignage d’intérêt et de sympathie, M. Horatio Patterson ne pouvait rester à court. Au nom des jeunes passagers comme au sien, il remercia avec grande dignité et le commandant de l’Essex, et ses officiers, et l’excellente Mrs Kethlen Seymour, et Son Excellence le gouverneur général des Antilles anglaises.

Cependant Harry Markel crut devoir faire remarquer qu’un retard de quarante-huit heures n’aurait pas dû donner lieu à de telles appréhensions et motiver l’envoi de l’aviso.

« Ces inquiétudes étaient justifiées par suite d’une circonstance que je vais vous faire connaître », répondit le lieutenant.

John Carpenter et Corty se regardèrent assez surpris. Peut-être regrettèrent-ils même que Harry Markel eût poussé si loin ses questions.

« C’est bien le 30 juin, dans la soirée, que l’Alert a mis à la voile ?…

— En effet, répondit Harry Markel, qui, d’ailleurs, avait tout son sang-froid. Nous avons levé l’ancre vers sept heures et demie du soir. Une fois dehors, le vent a refusé, et l’Alert est resté encalminé toute la journée du lendemain sous la terre, à la pointe de Roberts-Cove.

Jules Verne.

(La suite prochainement.)