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JULES VERNE

Et pourtant, toute réflexion faite, non ! cela ne pouvait être. Comment, Harry Markel, qui certainement n’aurait pas plus épargné les passagers qu’il n’avait épargné l’équipage du capitaine Paxton, aurait fait route pour les Antilles ?… Il eut poussé l’audace jusqu’à conduire l’Alert à destination au lieu de s’enfuir ?… Une telle imprudence était inadmissible.

Cependant Harry Markel attendait avec plus de sang-froid que John Carpenter et Corty. Si le commandant de l’Essex entrait en communication avec lui, il verrait. Du reste, l’aviso avait stoppé à quelques encâblures seulement, et, sur un signal qui fut envoyé, l’Alert dut mettre en panne. Les vergues brassées et orientées de manière que le jeu des voiles se contrariât, le trois-mâts demeura à peu près immobile.

Dans tous les cas, puisque l’Essex avait hissé son pavillon, l’Alert dut hisser le sien. Il va de soi que, si Harry Markel n’eût pas voulu obéir aux injonctions qui lui étaient faites par un bâtiment de l’État, il y aurait été contraint. Impossible d’échapper aux poursuites de cet aviso qui avait pour lui la vitesse et la force. Quelques coups de canon eussent en un instant réduit l’Alert à l’impuissance. D’ailleurs, on le répète, Harry Markel n’y songeait point. Si le commandant de l’aviso lui ordonnait de se rendre à son bord, il s’y rendrait.

Quant à M. Patterson, à Louis Clodion, à Roger Hinsdale, à leurs camarades, l’arrivée de l’Essex, l’ordre de communiquer avec le trois-mâts devaient les intéresser au plus haut point.

« Est-ce que ce navire de guerre est envoyé au-devant de l’Alert pour nous prendre à son bord et nous débarquer plus tôt à l’une des Antilles ?… »

Cette réflexion ne pouvait naître que dans un esprit toujours aventureux — tel celui de Roger Hinsdale. Il convient d’ajouter que cette opinion lui fut absolument personnelle.

En ce moment, un des canots de l’Essex ayant été mis à la mer, deux officiers y prirent aussitôt place.

En quelques coups d’aviron, l’embarcation eut accosté.

Les officiers montèrent par l’échelle de tribord, et l’un d’eux dit :

« Le commandant ?…

— Me voici, répondit Harry Markel.

— Vous êtes le capitaine Paxton ?…

— Le capitaine Paxton.

— Et ce navire est bien l’Alert, qui a quitté le port de Queenstown à la date du 30 juin dernier ?…

— À cette date, en effet.

— Ayant comme passagers les lauréats d’Antilian School ?…

— Ici présents », répondit Harry Markel, en montrant sur la dunette M. Patterson et ses compagnons, qui ne perdaient pas un mot de cette conversation.

Les officiers les rejoignirent, suivis d’Harry Markel, et celui qui avait parlé — un lieutenant de la marine britannique, — après avoir répondu à leur salut, s’exprima en ces termes, de ce ton froid et bref qui caractérise l’officier anglais :

« Capitaine Paxton, le commandant de l’Essex est heureux d’avoir rencontré l’Alert, et nous le sommes aussi de vous trouver tous en bonne santé. »

Harry Markel s’inclina, attendant que le lieutenant voulût bien lui faire connaître la raison de sa visite.

« Vous avez eu bonne traversée, demanda l’officier, et le temps a été favorable ?…

— Très favorable, répliqua Harry Markel, à l’exception d’un coup de vent que nous avons attrapé par le travers des Bermudes.

— Et qui vous a retardé ?…

— Nous avons dû tenir la cape pendant quarante-huit heures… »