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semblait percevoir quelque lointaine image qui devait la charmer ; un sourire souleva le coin de sa lèvre, chassant une dernière larme arrêtée en chemin, sur sa joue.

Elle irait chez grand’mère Andelot… Ah mais, cela changeait de note, tout à fait. Elle ne disait plus non, en dedans. Et, si elle ne se prononçait pas, c’est que sa vision l’absorbait, tenait sa pensée et presque sa langue asservies.

Tous les souvenirs amassés au cours de sa dernière visite se heurtaient en un étourdissant fouillis.

C’était d’abord la chère vieille maison familiale, si bien abritée par son large auvent et les hauts rochers, où, pour la mieux défendre des tempêtes de neige, on l’avait accotée. Et le mystérieux passage découvert par hasard, donc ! ce passage si périlleux que Claire n’en avait point parlé, certaine que, le jour même, tremblant pour sa vie, son père en eût fait murer l’abord… Quel enchantement de le reprendre !

Vielprat, le petit château moderne dont le parc touchait au jardin de grand’mère, n’était sans doute pas vendu encore. Peu gênants, les propriétaires ; jamais ils ne mettaient les pieds dans leur domaine d’Arlempdes. On pouvait circuler à travers le parc sans crainte d’y rencontrer âme qui vive. Et il était si joli, ce parc, en son délaissement ! On avait l’illusion d’errer dans un lieu sauvage, et, pourtant, on se sentait gardé de tout danger par les clôtures solides qui en traçaient les limites.

Quelle vue, de la pointe !

À l’extrémité de la gorge, le profil fuyant des ruines du château d’Arlempdes ; tours ébréchées, fenêtres béantes, la tristesse des choses mortes, mais la hautaine fierté du passé qui se souvient…

À cent pieds plus bas, la Loire, acharnée à ronger la masse basaltique portant ces superbes débris et le petit village — vingt maisons — qui s’est niché dans le mur d’enceinte, comme certains oiseaux s’installent en de vieux nids.

Et, amarrées aux points accessibles, les barques plates construites dans le pays, qui servent à aller d’une rive de la Loire à l’autre !

Ayant quelques-uns de ses champs du côté opposé, sur le territoire de Salette, grand’mère en possédait une. Que d’après-midi Claire s’était amusée à pêcher à la ligne, assise dans la barque. Quelquefois son père la promenait. On se laissait porter par le courant… C’était sauvage, effrayant, presque, mais si beau ! ces rives encaissées entre deux lignes de bois ; ces rochers, surplombant, comme une perpétuelle menace, au-dessus de l’embarcation fragile !

Et ses amies les chevrières !… Les voilà qui se mêlaient à ces choses. Au vrai, elles faisaient partie du paysage. C’est sur les pentes où elles amenaient paître leurs bêtes, que Claire les rencontrait. Elles parlaient ce dur patois cévenol, si malaisé à comprendre, mais elles étaient bonnes filles, toujours disposées à jouer, sans grand souci de leurs chèvres qui devenaient ce qu’elles pouvaient et rentraient seules au logis, l’heure venue.

Encore un détail charmant : le clocher d’Arlempdes. Chacune à sa fenêtre, dans le campanile ouvert que soutiennent de solides contreforts, les cloches sonnent toutes seules au moindre appel du vent.

Et cela amusait tant Claire, ce petit carillon imprévu qui, la nuit, l’éveillait, lui disait bonsoir. Les notes se succédaient, égrenées à l’aventure. Elle se rendormait en les écoutant, ravie, comme par un conte merveilleux.

Ah ! cette fois, elle apprendrait à faire la dentelle.

Dans le petit village couché au pied des ruines féodales, à chaque porte, l’été, les femmes, les jeunes filles travaillent assises, le carreau sur les genoux. Claire prenait plaisir à les regarder, lorsqu’elle allait avec la cuisinière, Monique, chercher les provisions que l’aubergiste d’Arlempdes rapportait pour