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de Négrier rasa le tout, après avoir fait porter les cendres du marabout à Géryville.

Depuis, les deux ou trois villages se sont relevés de leurs ruines ; le tombeau a été réédifié ; on y a replacé les ossements vénérés, vers lesquels, de nouveau, les pèlerins affluent. Puis, on y a construit un fortin, demeure d’un officier des Affaires indigènes, élevé un hôpital tenu par des Pères Blancs, et même — ô dérision ! — créé un poste de douaniers qui passent leur temps à pêcher des barbillons dans l’oued Gouléïta.

21 novembre. — Pan ! pan ! pan ! pan !

Ce n’est, pas encore le jour lorsque déjà des détonations nous font tressauter sur nos lits : le passage va commencer.

« Debout ! » commande M. Naimon.

Et, quelques moments plus tard, placés de façon à dominer entièrement la cuvette au fond de laquelle se dresse la koubba, nous voici prêts à jouir du spectacle.

Si el Hadj ed Dine. (Cliché de M. Letort.)

Sur le plateau qui nous fait face, des chameaux garnissent la crête. Des cavaliers, qui les précèdent, se lancent soudain au galop et dévalent à fond de train ; brusquement, devant le monument sacré, ils s’arrêtent, déchargent leurs fusils, se retournent et attendent.

Cependant la première caravane s’ébranle ; lentement elle descend, formée en demi-cercle, le centre en arrière. Isolés au milieu de ce croissant, marchent les deux chameaux de Ziarra[1]. À cent mètres environ du tombeau, halte générale ; agenouillement, sous les coups de matraque généreusement distribués, des pauvres bêtes destinées à être offertes en présent. Au même instant, nouveau départ des cavaliers, qui, cette fois, galopent sur la caravane elle-même et la pénètrent. À leurs coups de fusil répondent les décharges des chameliers ; à leurs vociférations, les cris des hommes à pied, les you-you aigus des femmes et, dans les tons bas, les lugubres meuglements des chameaux effarés. C’est un tumulte, une mêlée, un désordre indescriptibles, étourdissants.

Le calme enfin repris, marche de tous vers le monument ; remise de la ziarra aux Abid[2] ; défilé, sous les murs de la koubba, de la caravane, dont les hommes se détachent pour pénétrer auprès du tombeau et y appeler, sur leurs biens, la protection de Sidi Cheikh.

De la même façon toutes les tribus se suc-

  1. Ziarra, offrande.
  2. Les Abid (au singulier Abd) sont des serviteurs nègres dont les familles furent instituées gardiennes du tombeau de Sidi Cheikh.