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KSOUR ET OASIS[1]

CHEVAUCHÉES D’UN FUTUR SAINT-CYRIEN À TRAVERS LE SUD-ORANAIS

II

El Abiod Sidi Cheikh. — Passage de caravanes. — Les oasis sahariennes


De Brézina jusqu’à El Abiod, la distance n’est pas excessive. Nous l’avons parcourue sans nous hâter, en flânant.

Deux haltes obligatoires nous ont arrêtés.

D’abord aux « gour », ces étranges hauteurs qui profilent sur l’horizon leurs arêtes perpendiculaires, plus droites que les murs des habitations dans les ksour, et dont l’origine est encore peu expliquée : sables amassés par les vents, ou témoins d’un niveau des terres autrefois plus élevées.

Au travers des touffes de « senngha » et de « drinn » qui parsemaient la plaine environnante, nous nous sommes laissé tenter par la chasse, si bien que, le 18, nous n’avons pas poussé plus loin.

Pour des raisons analogues, nous ne dépassâmes pas Si el Hadj ed Dine, le lendemain.

C’était autrefois l’emplacement d’une florissante zaouïa de Cheikhiia que l’on avait dressée contre le tombeau d’un successeur de Sidi Cheikh, du nom de Si el Hadj ed Dine. Un village s’était groupé autour. Le général de Sonis le détruisit en 1869, après en avoir chassé Si Kaddour qui s’y était réfugié avec ses partisans.

Il ne subsiste plus à présent que les ruines du ksar, le tombeau toujours vénéré du marabout et, à côté, celui de son fils Si ben ed Dine, dans une immense cuvette dont les sables jaunes s’égayent de la verdure de superbes tamarins.

Le 20, nous atteignions enfin la ville sainte des Cheikhiia, El Abiod, — ce qui veut dire : « La Blanche ».

Sidi Cheikh s’y était fixé, à cause de la réunion de puits où les caravanes s’arrêtaient pour s’approvisionner d’eau avant de prendre la route de l’Erg.

Il y avait élevé une zaouïa où il accueillait les voyageurs et hospitalisait les malades, en même temps qu’il y fondait son ordre religieux des Cheikhiia.

On l’enterra tout auprès des murs du village, non qu’il eût désigné cet endroit pour sa dernière demeure, mais parce que « telle fut la volonté d’Allah ».

Avant de mourir (à Stittenne), il avait demandé à ses fils d’attacher, dès qu’il aurait rendu le dernier soupir, son corps sur une chamelle blanche, la laissant vaguer à sa guise : où elle s’arrêterait une première fois, ils procéderaient aux ablutions rituelles ; la seconde halte marquerait le lieu de sa sépulture.

Ainsi fut fait. Et la chamelle vint jusqu’à El Abiod, après s’être arrêtée une seule fois auparavant. Elle refusa de marcher plus longtemps.

La légende dit que, arrivée très tard dans la nuit, elle avait été déchargée aussitôt de son précieux fardeau et le corps de Sidi Cheikh fut laissé sur le sol, en attendant le retour du jour. À cette même place, le lendemain, une koubba s’élevait toute blanche, une koubba miraculeuse, dressée pendant la nuit pour abriter la dépouille abandonnée.

Ce tombeau devint un but de pèlerinage. La richesse du ksar s’en accrut et sa popularité aussi. Peu à peu, quatre autres ksour se construisirent et deux zaouïas nouvelles.

Pendant l’insurrection de 1881, le général

  1. Voir les nos 180 et suivants.