Page:Hetzel - Verne - Magasin d’Éducation et de Récréation, 1903, tomes 17 et 18.djvu/281

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

scènes entre eux. Quand même, je la devinais humiliée d’avoir à dire ces choses ; humiliée surtout que son mari les ignorât. Pour lui, ce qu’il souffrait à se voir ainsi repris par sa femme, c’était l’altération de ses traits, cela seul, qui me le révélait : il ne s’est jamais plaint. »

Grand’mère soupira à ces souvenirs, restés amers. Puis elle reprit :

« Tes sœurs vinrent au monde à deux ans de distance. Le vieux baron luttait… On eût dit qu’il attendait ta naissance pour emporter au moins la certitude que le nom qui lui était si cher ne s’éteindrait pas encore à cette génération. Son intelligence assoupie se réveilla, lucide comme vingt ans auparavant, lorsqu’on lui apprit que, enfin ! l’enfant qui venait de naître était un fils. Il demanda son notaire et refit son testament. Puis il te fit apporter, te prit sur ses genoux, te contempla longuement — j’étais présente — et il s’écria, l’air heureux : « Dieu soit loué ! j’aurai vu un « baron de Kosen ! » Je crois que ce furent ses dernières paroles : il ne causait que rarement, depuis un an ou deux. Il mourut quinze jours plus tard… Je te dis qu’il t’attendait, mon enfant, pour aller rejoindre son empereur ! Eh bien ! malgré qu’il restât en dehors de la vie de famille, par suite de sa grande faiblesse, sa présence au château retenait ta mère de nous écarter tout à fait. Lui mort, ses visites s’espacèrent davantage. Et sois assuré qu’elles étaient pour elle une grosse pénitence et la meilleure preuve de son amour pour son mari ! Mais on se lasse ; le naturel, l’éducation première reprennent le dessus… Peu à peu, elle en vint à prétendre réglementer même les visites de ton père. Elle y perdit sa peine ! Ne voulant point la heurter de front, mon fils prit le parti de se cacher de sa femme pour venir. C’est alors que lui et mon mari taillèrent cet escalier, dont la disposition du rocher permit de dissimuler l’existence. Du château, ce coin du parc n’est pas visible. Ta mère s’occupait beaucoup chez elle, car c’était une femme raisonnable, ne perdant pas son temps à des futilités, malgré sa fortune ; les pauvres qu’elle habillait en savaient quelque chose. Alors, dès que Phi-