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Et ils demeurèrent silencieux, perdus en des pensées qu’ils n’osaient plus échanger.

Ni l’un ni l’autre ne soupçonnait que si la vie est souvent dure à l’enfant unique, c’est non pas tant parce que les affections toutes proches lui manquent, — d’autres peuvent les remplacer, — que parce que son éducation entraîne ces conséquences.

L’être vers qui, depuis sa naissance, ont convergé toutes les pensées du père et de la mère, à qui on a fait peur, comme de la pire catastrophe, de petits frères venant diminuer sa part de tendresse et sa part de fortune ; cet être à qui, jamais, on n’a demandé rien, que de se laisser aimer, servir, adorer, qu’a-t-il appris ?… Ce que lui a enseigné cette logique innée de l’enfant qui déduit toujours si juste : à s’aimer…

La responsabilité de cet égoïsme spécial ne lui incombe pas… et cependant, bien que les parents en souffrent les premiers, il en subit la peine…

Cet être que Dieu veut heureux, car il est aussi son enfant, par quelles épreuves ne doit-il point le faire passer, pour que refleurissent en son âme le dévouement, l’esprit de sacrifice, l’oubli de soi, seuls facteurs de bonheur humain !…

Trop secoués par tant de pensées pénibles, trop faibles encore à l’égard de la décision prise, pour la défendre et l’imposer au besoin, M. et Mme Andelot s’accordèrent un court répit.

Ils convinrent de laisser Claire dans l’ignorance des événements qui se préparaient, jusqu’au lendemain matin. À son réveil ils parleraient, l’obligation où ils étaient de précipiter le départ ne leur permettant pas une attente plus longue.

Ne devant résider à Paris que le temps nécessaire à découvrir une situation, l’ingénieur s’était installé avec les siens dans une pension de famille. La table d’hôte, la causerie au salon, après le dîner, abrégeant la soirée, rendit leur tâche moins difficile.

La jeune fille, qui avait rencontré dans cette maison quelques amies de son âge, ne prit pas garde à la physionomie soucieuse de ses parents, et s’endormit sans rien soupçonner de ce que lui apporterait la prochaine journée.

Pauvre Clairette ! Elle était tout à fait charmante, cette grande enfant si aimée… si mal aimée !

Pas jolie, mais rieuse, vive, spirituelle, un regard bien droit, bien franc.

Ah ! certes ! pour franc, il l’était, le regard de Clairette. Qu’eût-elle caché, Seigneur ! On disait amen à tout ce qui tombait de ses lèvres ; on s’inclinait devant chacun de ses désirs !

Assez grande, des cheveux couleur d’épis mûrissants, des yeux de cette nuance indécise qui porte un nom de fleur, — la pervenche, — des yeux très longs, bordés de cils sombres, elle éblouissait.

On ne songeait point à observer, en la regardant, que son nez n’avait rien de la pure ligne grecque, et que, même, ce petit nez impertinent manifestait une velléité de se relever un brin ; que la bouche était un peu grande et l’ovale du visage un peu court. On était pris par le charme de cette insouciante et communicative gaieté, par le rayonnement de cette jeunesse, de ces yeux ouverts sur la vie, candides et confiants.

Volontaire, mais point boudeuse, et personnelle avec une si absolue inconscience !

Sa philosophie de l’existence évoluait entre ces deux termes : « Cela me fait plaisir… Cela ne me fait pas plaisir… »

Mettre de côté ce qui lui était désagréable, aller vers ce qui lui souriait : on ne lui en avait jamais demandé plus ; d’où aurait-elle appris que la vie contient d’autres problèmes, impose d’autres devoirs ?

Si son instruction ne présentait pas trop de lacunes, c’est que sa souple intelligence,