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JULES VERNE

le tour de son corps et le sanglait comme un baudet.

En dépit de ces précautions, pourtant, le Mentor se sentait de moins en moins à son aise. Il lui semblait que son cœur se déplaçait, oscillait dans sa poitrine comme un pendule, et, lorsque Wagah piqua l’heure du déjeuner, laissant les jeunes garçons se rendre dans le carré, il resta au pied du grand mât.

Et alors Corty, affectant un sérieux qu’il n’avait point, de lui dire :

« Voyez-vous, monsieur, si vous n’êtes point tout à fait dans votre assiette, c’est que vous n’obéissez pas aux balancements du navire, même lorsque vous êtes assis…

— Cependant, mon ami, il serait difficile d’obéir…

— Si… monsieur… Regardez-moi… »

Et Corty prêcha d’exemple, se penchant en arrière, lorsque l’Alert piquait du nez dans la lame, se penchant en avant, lorsque son arrière se plongeait dans l’écume du sillage.

M. Patterson se leva alors, mais il ne parvint point à garder son équilibre, et murmura :

« Non… impossible… Aidez-moi à me rasseoir… La mer est trop mauvaise…

— Mauvaise… la mer… Mais, c’est de l’huile… monsieur… c’est de l’huile ! » affirma Corty.

Il va de soi que les passagers n’abandonnaient point M. Patterson à son malheureux sort. Ils venaient à chaque instant s’enquérir de son état… Ils essayaient de le distraire en causant… Ils lui donnaient des conseils, en rappelant que la formule indiquait encore nombre de prescriptions pour prévenir le mal de mer, et, docile, M. Patterson ne se refusait point à en essayer.

Hubert Perkins alla dans le carré chercher un flacon de rhum. Puis il remplit un petit verre de cette liqueur, si efficace pour remettre le cœur, et M. Patterson but à petites gorgées.

Une heure après, ce fut de l’eau de mélisse qu’Axel Wickborn lui apporta et dont il avala une grande cuillerée.

Les troubles continuaient cependant, descendant jusqu’à la cavité stomacale, et le morceau de sucre imbibé de kirsch ne put les apaiser.

Le moment approchait donc où M. Patterson, de jaune devenu pâle, serait contraint de rentrer dans sa cabine, où il était à craindre que le mal ne vînt à empirer. Louis Clodion lui demanda s’il avait bien observé toutes les précautions indiquées dans la formule.

« Oui… oui !… balbutia-t-il en n’ouvrant la bouche que le moins possible. J’ai même sur moi un petit sachet que m’a confectionné mistress Patterson et qui renferme quelques pincées de sel marin… »

Et, vraiment, si le sachet en question ne donnait aucun résultat, si, après la ceinture de flanelle, le sel marin restait inefficace, il n’y aurait plus rien à faire !

Les trois jours qui suivirent, pendant lesquels il venta fraîche brise, M. Patterson fut abominablement malade. Malgré de pressantes invitations, il ne voulut point quitter sa cabine, retournant ad vomitum, — ainsi dit l’Écriture, — et ce qu’il eût dit sans doute, s’il avait eu la force d’émettre une citation latine.

Il lui revint alors à la mémoire que Mrs Patterson avait mis dans sa malle un sac contenant des noyaux de cerise. Toujours à s’en rapporter à la formule Vergall, il suffisait de garder un de ces noyaux hygiéniques dans la bouche pour empêcher le mal de mer ou de se produire ou de se continuer. Or, comme il en possédait un sac, le Mentor pourrait remplacer ledit noyau s’il venait à l’avaler.

M. Patterson pria donc Louis Clodion d’ouvrir le sac aux noyaux de cerise et d’en extraire un, qu’il plaça entre ses lèvres. Hélas ! presque aussitôt, dans un violent