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bine horizontale supportée à ses extrémités par deux montants, et qui se manœuvrait au moyen d’une roue à poignées. Cela s’appelle un cabestan. Yvon en avait vu sur les vaisseaux qu’il avait visités à Brest avec son père, en son unique voyage. Les explications qu’on lui avait données alors lui revinrent à l’esprit, et ses instincts naturels de mécanicien lui indiquèrent ce qu’il avait à faire.

Les cordes passées dans les poulies et supportant le canot, étaient, avant de s’engager sur la grande bobine, enroulées plusieurs fois autour des champignons en fer. C’était par là que le poids même de la barque la tenait suspendue.

Sans bruit, Yvon commença à dérouler le câble. Ce fut assez facile d’abord ; aux premiers tours, le câble libre restait lâche et malléable ; mais bientôt, le poids du canot suffit pour faire sauter le câble de gauche hors de la tête du champignon, et le canot prit une position perpendiculaire, pendit à une seule corde. Ce résultat inquiéta Yvon. Tout à l’heure, dans quelle position le canot se trouverait-il sur l’eau ? Il pouvait sombrer. Néanmoins, Yvon s’attaqua à la seconde attache et manœuvra comme il avait fait pour la première. Cette fois, avant que le dernier tour fût déroulé, il se produisit une secousse violente, et peu s’en fallut que l’enfant n’eût la main broyée. Les deux cabestans se mirent à tourner de plus en plus vite, et à un moment le treuil fonctionna seul, aucun homme ne se trouvant là pour conduire la manœuvre, et le canot fut précipité à la mer, avec un choc dont le bruit s’éleva dans la nuit. Yvon ne vit pas cette chute, mais il l’entendit et comprit comment elle avait dû avoir lieu. Il se rechargea de Manette et recommença la descente de l’échelle. Cette fois, l’embarcation était bien là, mais hors de la portée du pied de l’enfant. Le canot dérivait, tout couvert du surplus des cordes le reliant aux deux palans. Cramponné à l’échelle, de la main droite, Manette dans le bras gauche, Yvon n’avait aucun moyen d’attirer le canot à lui. Il attendit, angoissé. Avec une lenteur désespérante, l’embarcation se déplaçait parmi le clapotis des vagues. Elle finit par se trouver sous l’échelle, et Yvon s’y laissa tomber…

Il déposa Manette en hâte. Puis, il chercha et défit les crochets qui retenaient les deux cordes dans deux anneaux, et rejeta les bouts de celles-ci à la mer. Des rames étaient amarrées dans l’intérieur. Yvon en détacha une paire, il vira de toute sa force…

Cependant, le bruit de la chute du canot avait donné l’éveil. Des coups de sifflet retentissaient sur le navire. On venait de s’apercevoir de la mise à l’eau de l’embarcation. On se hâtait de faire jouer les palans de l’autre côté du navire. La première incertitude avait heureusement fait perdre un certain temps. Le pauvre Yvon ramait avec le plus de vigueur qu’il pouvait du côté du rivage. Il était arrivé à moitié chemin, quand la chaloupe de poursuite, lancée par l’effort de huit rameurs, contourna la coque du pirate. Yvon n’avait que ses deux bras. L’avance prise ne comptait guère. Pourtant, il continuait, en y mettant tout son courage. Il se retournait, éperdu d’émotion, tantôt du côté du navire, où il entendait le choc régulier des rames sur l’eau, tantôt du côté de la terre, où il voyait les lumières des fenêtres bien près !…

Alors, il eut l’idée de crier : Au secours, et il le fit à pleins poumons.

Des barques de pèche flottaient à l’ancre, au milieu d’une petite anse. Il y en avait toute une flottille, soulevée par la marée montante, mais personne dedans. Il les dépassa, affolé, car le bruit des rames qui le poursuivaient se rapprochait terriblement. Tout à coup, le petit canot toucha le fond, avec un bruit de gravier écrasé.

Il était échoué sur plage.

Yvon jeta deux cris plus désespérés que les autres, empoigna Manette qui, depuis quel-