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Sidi Cheikh Cheraga, dont il est lui-même, et les Gharaba, dont fait partie Bou Amama, Si Mohammed se refuse à traverser ce ksar.

« — Tu ne veux pas m’accompagner à Deldoul ? Soit ; j’irai seul. »

« Audacieusement, Palat se présente à Bou Amama qui l’accueille fort bien ; il reste même son hôte toute une semaine.

« Et, six jours après l’avoir quitté, il est tué, ainsi que son interprète, à quelques journées de marche d’In-Salah.

« Les coupables de cet assassinat, quels furent-ils ?

« Bou Amama, disent les uns !

« C’est à lui, cependant, que l’on doit d’avoir pu rendre les ossements du malheureux officier à sa famille ; ce sont ses cavaliers qui découvrirent le corps, à peine refroidi, aux blessures encore saignantes : il était étendu la face contre le sol et, dérision suprême ! entre ses dents crispées on avait planté l’index coupé à sa main droite[1].

« Bou Amama ne pouvait avoir, en tout cas, aucun intérêt dans cette mort à laquelle, plus que probablement, il ne prit aucune part.

« Les coupables, prétendent d’autres, ce sont des gens du Tidikelt, voleurs ou fanatiques.

« Enfin, d’autres encore pensent que Ferradji lui-même, si miraculeusement échappé, pourrait bien au moins avoir prêté la main à cette affaire. Sans preuves, il me semble difficile de porter une accusation aussi grave. En vérité, on ne sait rien de positif et l’on ne saura probablement jamais rien.

« Ainsi échoua ce voyage d’exploration qui avait si mal débuté. Mais l’Algérie ne resta pas oublieuse ; elle aime à se rappeler le nom de ceux qui ont travaillé pour son bien. Et les choses du Touat et du Tidikelt sont, comme j’aurai peut-être l’occasion de vous le montrer durant notre excursion, intimement liées aux choses du Sud algérien. Tenant compte, dans le cas présent, des intentions plutôt que du résultat, elle a donné le nom de Palat au village de Mellakou, près de Tiaret.

« Mais de ces événements assez récents on doit avoir gardé le souvenir ici. Attendez… »

Hélant un des notables accroupis près de la porte du ksar, l’officier demanda :

« Y a-t-il longtemps que tu habites ce village ?

— J’v suis né, seigneur, et ne m’en suis jamais éloigné.

— Ne te souviens-tu pas d’un Français parti de Brézina pour In-Salah, il y a environ dix-sept ans ? Il était accompagné de El Arbi ould Naïmi, des oulad sidi Cheikh. On l’assassina près de Hassi Cheikh.

— Oui, seigneur, je me le rappelle fort bien : il se rasait la tête comme nous ; il portait des vêtements et un burnous comme les nôtres. Il parlait bien l’arabe. Tu coucheras, cette nuit, dans la chambre qu’il habita durant son séjour au milieu de nous. »

Nous finissions de dîner. Je me régalais de ces fameuses dattes précoces — oh ! si savoureuses et fondantes !

« Quels sont vos projets pour demain ? interrogea Si Ahmed.

— Nous partirons pour El Abiod par Si el Hadj ed Dine en nous arrêtant à la Gara de Bent el Ghass.

— Bien ; je vous ferai porter en ce dernier endroit une tente et de quoi déjeuner.

— Merci ; impossible d’accepter, Si Ahmed ; tout cela n’est que projet vague ; en réalité nous ignorons ce que nous ferons. »

Et comme, avant de nous endormir, je m’étonnais de la réponse qu’il avait faite au caïd, mon compagnon me répliqua par une boutade :

« Ils sont insupportables à nous suivre pas à pas. Ne vaut-il pas mieux être seuls ? N’avons-nous pas tout ce qu’il nous faut ? À quoi bon aussi leur imposer une corvée inu-

  1. Vuillot, Exploration du Sahara.