Page:Hetzel - Verne - Magasin d’Éducation et de Récréation, 1903, tomes 17 et 18.djvu/243

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

il est juste que tu te divertisses. J’ai accepté, seulement j’entends que tu sois convenablement arrangée pour répondre à cette honnête invitation, et j’ai trouvé dans mes toilettes une robe à te sacrifier. »

Tout en parlant, la vieille demoiselle avait fait monter Marguerite dans sa chambre. En un tour de main, celle-ci se vit affublée d’une robe grise, assez plaisante, mais hors de proportions avec sa taille fluette. Il s’agissait de rétrécir et de raccourcir en tous sens ; le reste de la journée y fut employé. Marguerite ne put quitter sa tante une seule minute pour faire disparaître les feuillets dont le voisinage lui causait un grand malaise.

Ce fut dès le matin que la voiture de M. Osburn vint la chercher. Cacher dans sa chambre le cahier compromettant, il n’y fallait pas songer ; elle savait fort bien que, pendant son absence, Mlle Rosenwik y visiterait et arrangérait tout. N’importe, pensa-t-elle, avant mon retour, j’en serai débarrassée ; puis elle le glissa dans la poche de sa robe.

En route, la pureté du ciel, la douceur de la brise, les gais propos d’Olaf ne lui laissèrent plus le loisir d’y penser. On traversa des bois de pins aux troncs roux, des clairières, de vastes espaces découverts. Parfois la charrette roulait sur un étroit chemin entre deux petits lacs ; puis les fermes, dispersées à de grandes distances, se succédaient. Enfin, après trois heures de ce joyeux voyage, la voiture longe un lac plus étendu, parsemé d’îlots verdoyants, et entre dans une sorte de cour dont l’herbe nouvelle semble un tapis de velours… Des chalets peints en rouge, couverts de toits gazonnés, l’encadrent ; c’est la métairie ou le « gaard » de Christian Osburn. Le maître du logis, une énorme pipe à la main, vient au-devant des visiteurs. Bientôt, toute la famille est réunie dans une grande salle reluisante de propreté, au sol jonché de branches de sapin. Marguerite, qui connaissait Mme Christian Osburn et ses filles, Christine et Sotie, ne se sentait pas d’aise. On offrit aux voyageurs du lait parfumé, en attendant le repas plus solide, puis les deux jeunes filles eurent la permission d’emmener leur amie dans le chalet, où elles partageaient les travaux des femmes qui filaient, tissaient et cousaient les vêtements de tous les habitants du gaard, maîtres et serviteurs.

« Cet après-midi, nous ferons une jolie promenade, dit gaiement Christine, mais maman ne peut souffrir qu’on laisse l’ouvrage inachevé.

— Oh ! tante Gerda est de même : elle ne me ferait pas grâce d’un point.

— De plus, tu as des devoirs et des leçons à préparer, car tu suis encore le cours de M. Duff, n’est-il pas vrai ?

— Certainement.

— Et tu remportes de beaux succès, ajouta Sofie sur un ton flatteur. Notre cousine Lotta Lutzen en parle chaque fois qu’elle vient ici.

— Non, non, Lotta exagère… elle aussi travaille bien… »

Marguerite baissait la tête sous ce compliment et portait, malgré elle, la main à sa poche… Quand donc serait-elle débarrassée de l’affreux cahier ? La chose n’était pas aussi facile qu’elle l’avait supposé. Après un repas réconfortant, composé de saumon fumé, d’œufs et d’appétissantes tranches d’élan, Sofie et Christine, enchantées de posséder leur amie, ne la quittèrent pas plus que son ombre. Les trois fillettes et Olaf firent l’excursion projetée. Il s’agissait de traverser le grand lac dans la longue barque rouge et jaune, tout enjolivée d’ornements et de sculptures, qui fait l’orgueil des propriétaires daleéarliens, et d’inviter les enfants du gaard le plus proche à venir passer une joyeuse soirée. Ramer est un exercice qui passionne les jeunes Suédoises ; aussi Sofie mit-elle avec empressement un des coquets avirons aux mains de Marguerite.

Ah ! quel plaisir pour elle, sans l’inquiétude