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JULES VERNE

entre l’aspect du ciel et celui qu’il présentait à la même heure pendant les journées précédentes.

Si, ce soir-là, le soleil se couchait encore sur un horizon pur, il était à prévoir qu’il reparaîtrait le lendemain au milieu de ces lourdes vapeurs.

Harry Markel et John Carpenter s’entretenaient à l’avant. Par précaution, ils ne voulaient point se montrer sur la dunette, où ils auraient pu être aperçus et reconnus, soit, de la falaise, soit même du rivage, bordé d’un semis de roches noirâtres.

« Il y a du vent là-dedans !… dit le maître d’équipage, en tendant la main dans la direction de Roche-Pointe.

— Je le crois… répondit Harry Markel.

— Eh bien, s’il se décide à souffler, nous n’en perdrons pas une prise… capitaine Paxton… oui, capitaine Paxton !… Ne faut-il pas que je m’habitue à t’appeler ainsi… au moins pour quelques heures encore ?… Demain… cette nuit même, j’espère bien que tu redeviendras définitivement le capitaine Markel, commandant… Ah ! à propos, je chercherai un nom pour notre navire !… Ce n’est pas l’Alert qui recommencera nos campagnes dans les mers du Pacifique !… »

Harry Markel, qui n’avait point interrompu son compagnon, demanda :

« Tout est prêt pour l’appareillage ?…

— Tout, capitaine Paxton, répliqua le maître d’équipage. Il n’y a qu’à lever l’ancre et à larguer les voiles !… Il ne faudra pas grande brise à un navire aussi fin de l’avant, aussi relevé de l’arrière pour se déhaler rapidement…

— Ce soir, au coucher du soleil, déclara Harry Markel, si nous ne sommes pas à cinq ou six milles dans le sud de Robert-Cove, j’en serai bien surpris…

— Et moi, plus vexé que surpris ! répliqua John Carpenter. Mais voici deux de nos passagers qui viennent te parler…

— Qu’ont-ils à me dire ?… » murmura Harry Markel.

Magnus Anders et Tony Renault, — les deux novices, comme les désignaient leurs camarades, — venaient de quitter la dunette, se dirigeant vers le gaillard d’avant, au bas duquel causaient Harry Markel et John Carpenter. Ce fut Tony Renault qui prit la parole et dit :

« Capitaine Paxton, mes camarades nous envoient, Magnus et moi, vous demander s’il n’y a pas d’indices d’un changement de temps…

— Assurément, répondit Harry Markel.

— Alors il est possible que l’Alert appareille ce soir ?… dit Magnus Anders.

— C’est possible, et c’est même de cela que nous parlions, John Carpenter et moi.

— Mais, reprit Tony Renault, ce ne serait que dans la soirée sans doute ?…

— Dans la soirée, répondit Harry Markel. Les nuages montent très lentement, et, si le vent se déclare, ce ne sera pas avant deux ou trois heures…

— Nous avons remarqué, continua Tony Renault, que ces nuages ne sont pas coupés, et ils doivent descendre très bas, au-dessous de l’horizon… C’est, sans doute, ce qui vous fait penser, capitaine Paxton, que le changement de temps est probable ?… »

Harry Markel fit un signe de tête affirmatif, et alors le maître d’équipage d’ajouter :

« Oui, mes jeunes messieurs, je crois que nous tenons le vent cette fois !… Ce sera le bon, puisqu’il nous poussera dans l’ouest… Encore un peu de patience, et l’Alert aura enfin quitté la cote d’Irlande !… En attendant, vous avez le temps de dîner, et Ranyah Cogh a mis toute sa cuisine en branle pour votre dernier repas… le dernier en vue de terre, s’entend ! »

Harry Markel fronçait le sourcil, comprenant bien les abominables allusions de John Carpenter. Mais il était difficile d’enrayer les bavardages de ce misérable qui avait la féro-