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BOURSES DE VOYAGE

un de ces tugs ; il aurait traité pour être conduit au large, et il eut payé d’un bon prix son remorquage !…

Tony Renault proposa même d’employer ce moyen. À cinq ou six milles plus à l’ouvert du canal, n’était-on pas assuré de rencontrer les brises du large ?…

À cette proposition, Harry Markel opposa un refus catégorique, et d’un ton sec qui ne laissa pas de surprendre. Après tout, un capitaine sait ce qu’il doit faire, et il ne demande l’avis de personne.

En effet, Harry Markel, quelque intérêt qu’il eut à s’éloigner d’une côte si dangereuse pour ses compagnons et lui, n’eût jamais consenti à prendre un remorqueur. Que serait-il arrivé si le patron de ce tug, connaissant le capitaine Paxton ou l’un de ses hommes, ne les eût pas retrouvés à bord de l’Alert ?… Non ! mieux valait encore attendre.

Vers trois heures de l’après-midi, d’épaisses fumées se montrèrent dans le sud-ouest. Quelle intéressante occupation d’observer l’approche du steamer qui venait d’être signalé !

Ce bâtiment marchait à grande vitesse. Aussi, une demi-heure après, eut-on la certitude que c’était un navire de guerre se dirigeant vers le canal.

Toutes les lorgnettes furent braquées de ce côté. Tony Renault et les autres se disputaient à qui découvrirait le premier la nationalité de ce steamer.

Ce fut Louis Clodion qui l’eut, cette bonne fortune, et, après avoir assez distinctement reconnu la flamme qui se déroulait à la pomme du mât militaire :

« C’est un français, s’écria-t-il ; un navire de l’État…

— Si c’est un français, s’écria Tony Renault, nous le saluerons au passage ! »

Et il alla demander à Harry Markel la permission de rendre honneur à la France, représentée par un de ses bâtiments de guerre.

Harn Markel, n’ayant aucune raison de refuser, donna son consentement et ajouta même que, très certainement, on répondrait au salut de l’Alert. N’est-ce pas l’usage dans toutes les marines !

Ce bâtiment était un croiseur cuirassé de deuxième rang qui jaugeait de sept à huit mille tonnes, portant deux mâts militaires. Le pavillon tricolore flottant à sa poupe, il avançait rapidement sur cette mer si calme, qu’il coupait de son étrave effilée, et laissait après lui un long sillage plat, dû à la perfection de ses lignes d’eau.

Grâce aux lorgnettes, le nom de ce cuirassé put être lu au moment où il passa devant l’Alert.

C’était le Jemmapes, l’un des plus beaux types de la flotte française.

Louis Clodion et Tony Renault étaient postés sur la dunette, à la drisse de la corne d’artimon. Lorsque le Jemmapes ne fut plus qu’à un quart de mille, ils halèrent sur la drisse, et le pavillon britannique fut par trois fois amené aux cris de : « Vive la France ! » Tous, Anglais, Danois, Hollandais poussèrent ce cri en l’honneur de leurs camarades, tandis que le pavillon du Jemmapes descendait et remontait le long de sa hampe.

Une heure plus tard, même honneur fut rendu aux couleurs anglaises, lorsqu’elles apparurent à la corne d’un transatlantique.

C’était le City-of-London, de la ligne Cunard, établie entre Liverpool et New-York. Suivant l’habitude, il allait déposer ses dépêches à Queenstown, ce qui fait gagner à celles-ci une demi-journée sur l’arrivée des paquebots.

Le City-of-London salua l’Alert, dont le pavillon avait été hissé par John Howard et Hubert Perkins, au milieu des hurras des jeunes passagers.

Vers cinq heures environ, il fut constaté que les nuages avaient grossi dans le nord-est et dominaient les hauteurs qui s’élèvent en arrière de la baie de Cork. Notable différence