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calife pourrait le faire tout de suite emprisonner, fustiger, empaler.

Hassan. — Oui, le calife pourrait le punir, mais Allah peut le changer, et c’est la seule chose que je désire. (À ses hôtes.) Je regrette, seigneurs, qu’on vous ait raconté cette histoire. Ne la répétez point, je vous en prie, de peur que quelque croyant n’en devienne moins hospitalier. De grâce, achevez de souper. (Ils se remettent à manger.)

Haaroun. — Puisque tu n’as plus rien, Hassan, que vas-tu faire ?

Hassan. — Je suis encore robuste ; je trouverai bien à Bagdad à m’employer comme portefaix. Je gagnerai ma vie et celle de Fatma : il nous faut peu.

Fatma, vivement. — Vous ! vous ! porter des fardeaux ! je ne le souffrirai pas. Je suis vieille, plus bonne à grand’chose, mais je peux mendier. Oui, oui, je mendierai pour vous. Et puis, j’irai au calife. Ne croyez-vous pas, seigneurs, que s’il savait le malheur de mon maître, il le secourrait !

Haaroun. — Je le crois.

Giaffar. — Oh ! sûrement.

Fatma. — Eh bien, il le saura. J’arriverai à lui. J’irai l’attendre à la porte de son palais, à la porte de la mosquée, partout.

Hassan. — Le sultan aurait fort à faire à secourir tous ceux qui sont dans le besoin. Tu parles trop, Fatma.

Haaroun. — Non, car elle parle bien. J’aime à voir son attachement pour toi, Hassan, cela fait à la fois son éloge et le tien.

Giaffar. — Oui, car il a été bon maître, celui qui a bon serviteur.

Fatma. — Ah ! oui, qu’il a été bon maître ! le plus excellent, le plus…

Hassan, avec un peu d’impatience. — Assez, Fatma. (À ses hôtes.) Seigneurs, si vous vouliez me faire l’honneur de passer ici la nuit. Je n’ai que ces tapis, cependant…

Haaroun. — Nous y dormirions à merveille. Mais l’orage s’éloigne ; nous allons regagner Bagdad. (Il s’avance vers la porte.)

Fatma, à part. — Ils ne nous emportent rien, ceux-là, mais ils devraient bien nous laisser quelque chose, car ils sont riches, on le voit.

Haaroun, tirant sa bourse. — Voici, Fatma, quelques roupies, pour les premiers besoins.

Fatma, à part. — Est-ce qu’il aurait entendu ?

Hassan, offensé. — Ah ! seigneur, me feriez-vous l’affront…

Haaroun. — De vouloir te payer ton hospitalité ? Non Hassan, car je compte te la rendre à Bagdad. Viens demain au palais trouver Haaroun al Raschid.

Hassan, étonné. — Le calife, ici !

Fatma, de même. — Le calife !

Haaroun, écartant son manteau et laissant voir son costume couvert d’or et de pierreries. — Oui, le calife, qui, accompagné du bon Giaffar…

Giaffar. — Son fidèle serviteur.

Haaroun. — Visite ses sujets incognito, cherche à voir le bien, le mal aussi, afin de punir et de récompenser avec justice — et à découvrir les hommes de mérite pour les appeler à ses conseils. Il ne tiendra pas à moi, Hassan, que ta fortune ne soit réparée.

Hassan, s’inclinant. — Ah ! seigneur !

Fatma. — Si le Commandeur des Croyants voulait bien ordonner à Abou Taleb de nous donner du temps pour le payer ?

Haaroun, souriant. — Non, Fatma, c’est inutile. Qu’il reprenne son bateau et sa maison. Je te donne, Hassan, un palais à côté du mien.

Fatma, éblouie. — Oh ! (Elle se prosterne aux pieds du calife.)

Hassan. — À moi, seigneur ?

Haaroun. — À toi. J’ai besoin que ton exemple m’apprenne à supporter l’adversité, si c’est la volonté d’Allah de me la faire un jour connaître.

Giaffar. — Ah ! seigneur, jamais…

Haaroun. — Silence, Giaffar. Quel homme,