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pour garder le canot qui les avait tous amenés. Ils ne ressemblaient guère aux pêcheurs de Penhoël, ces hommes-là. C’étaient des gaillards de haute stature, bottés jusqu’aux cuisses, et coiffés de chapeaux ronds. Ils allèrent droit à la grotte et furent bien surpris, en approchant, d’y apercevoir de la lumière. Déjà, quatre d’entre eux avaient baissé, par l’ouverture, les canons de leurs mousquets, et l’on ne sait ce qui serait arrivé, si, par hasard, Manette, jusque-là silencieuse, très occupée de sa construction, n’avait eu faim et n’avait dit à Yvon :

« Je veux du sucre à l’eau qui brûle.

— Je ne veux pas t’en donner, avait répondu Yves, de l’armoire. Je vais te casser du biscuit.

Les nouveaux arrivants entendirent une voix de petite fille, et même, plus faiblement, la réponse du petit garçon, car ils prêtaient l’oreille et le son monta dans l’ombre. Ce fut peut-être ce qui sauva la vie aux enfants, au moins à Petite Manette. Les hommes, indécis, écoutèrent encore : aucune voix d’homme ne se mêlait à celles des marmots. Les contrebandiers se concertèrent un instant et se décidèrent à descendre. L’un d’eux s’assit sur le rebord du puits. Il s’aperçut alors que la marche de pierre manquait. Les hommes échangèrent deux ou trois paroles. L’un des six s’éloigna et rapporta bientôt, du canot, une corde. Tout cela s’était accompli dans le plus grand silence. Aucun de ces mouvements n’était pour troubler les deux petits habitants de la grotte. Petite Manette et Grand Yvon ne soupçonnaient pas la présence de ces hommes ni le danger imminent. Yves tirait toujours de la caisse et lançait consciencieusement d’en haut les biscuits, qui tombaient les uns sur les autres avec un bruit sec et mat.

En possession de la corde, les hommes nouèrent ensemble deux mousquets par le milieu, et, le pistolet à la main, l’un des contrebandiers se pendit par l’autre main au câble et se laissa glisser dans l’intérieur. Le bruit de ses bottes retentit de très près aux oreilles de Manette accroupie. Elle poussa un cri et se retourna. En apercevant derrière elle cette haute figure d’aspect effrayant, elle jeta coup sur coup cinq ou six autres cris. Un deuxième homme prit pied dans la caverne, et successivement tous les autres. Yvon, qui s’était précipité d’abord, au premier cri de Manette, assistait stupéfait à cette invasion d’inconnus de mauvaise mine.

Il avait beau être brave, Yvon, il eut terriblement peur, et il restait immobile et comme pétrifié.

« Ah ça, mômes de malheur, clama le plus roux de barbe des arrivants, qu’est-ce que vous faites ici ? En voilà un ménage ! gronda-t-il en regardant les soies dépliées, les caisses et le tas de biscuits, et les bouteilles. Voilà ce qui s’appelle du bel ouvrage. Eh, l’autre ? continua-t-il, s’adressant à Yvon, comme on ne lui répondait pas, qui est-ce qui vous a permis d’entrer ici ? Vas-tu répondre, ou bien s’il faut que je te délie la langue avec ma garcette ? »

Yvon essaya de dominer sa terreur, dont il commençait à être honteux. Il croyait avoir affaire à de simples pêcheurs.

« Nous sommes tombés ici, sans le vouloir, dit-il assez fermement ; il y a quatre jours que nous y sommes, bien malgré nous, sans pouvoir remonter. Nous craignions de mourir de faim avant de trouver des biscuits. » Les hommes se regardèrent.

« Alors, reprit celui qui avait parlé, personne du pays ne sait où vous êtes ?

— Personne », fit Yvon.

Entraîné par son habitude de dire la vérité, Yvon fut sur le point d’expliquer comment il avait essayé de correspondre avec les siens, mais il sentit d’instinct qu’il valait mieux n’en pas parler.

« Et vous croyez que cela va se passer comme cela ! Tout saccagé, gâté, pillé !…

— Ce n’est pas notre faute, fit le jeune cadet des Valjacquelein, d’une voix de plus en plus