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Thérèse Murcy regarda les deux petits avec une pitié tendre.

« Ils sont surtout ingénieux dans la fabrication de leurs verbes… ingénieux… et même logiques, regardez-y de près : c’est la grammaire qui ne l’est pas. Laissez-les dire, à leur âge, c’est gentil, et cela aura vite disparu quand vous leur aurez donné ce qu’ils réclament.

— Vous aussi !… » s’exclama Hervé.

Il poursuivit, secouant la tête :

« Pas facile à rencontrer, la jeune fille assez raisonnable pour épouser un veuf ayant deux enfants ! deux enfants comme ces petits démons-là surtout !

— Pas facile… peut-être, mais non impossible, repartit Thérèse.

— Laissez-moi ajouter, observa de Kosen, une jeune fille qui me plaise assez pour emporter l’appréhension que j’ai à tenter un nouvel essai de la vie à deux. »

Son regard s’était tourné, cette fois, vers Yucca, instruit des difficultés, des déboires qui avaient marqué les courtes années de son premier mariage.

Un sourire encourageant courut sur les lèvres du peintre. Il conseilla :

« Charge Thérèse de te choisir une femme.

— Comme elle !…

— Ah ça ! je ne saurais en répondre. Demande à René s’il croit qu’il puisse exister deux éditions de « ma sœur Thérèse ».

— C’est dommage que Mad soit fiancée à Marc Romieux, remarqua le gamin naïvement, regardant sa sœur. Elle devient presque pareille à toi.

— Nous en reparlerons », fit Thérèse, rougissant de ces éloges, mais si touchée du sentiment qui les dictait !

Elle n’avait pas changé, si ce n’est pour embellir, en ses quatre années de mariage.

Quant à Yucca, stimulé par les devoirs nouveaux que lui imposait sa double paternité, il avait fait du chemin. Il était maintenant de ceux avec qui l’on compte, presque un maître, malgré sa jeunesse.

La conversation était tombée. Un silence régnait autour de la table, coupé seulement de temps à autre par quelque réflexion de l’un des enfants.

Hervé était devenu soucieux, comme cela lui arrivait souvent ces temps-ci.

« Oui, reprit-il enfin, après avoir longuement médité, nous en reparlerons, « ma sœur Thérèse » ; — de René, l’appellation était passée à la famille entière et aux amis — nous en reparlerons, de mon second mariage, le jour où votre mari et moi aurons trouvé le mot de l’énigme. Or, les dernières paroles de Gisèle me sont plus obscures que jamais.

— Dans vos papiers, rien ne fait allusion…

— Des papiers ? interrompit de Kosen, demandez à Yucca ce que nous en avons découvert ici.

— Pas un, déclara le peintre.

— Vous avez fouillé partout ?

— Partout, oui, madame.

— C’est bizarre… Je comprends votre désir de tirer ceci au clair tout d’abord. Espérons que vous y parviendrez.

— Et moi je commence à craindre le contraire », repartit Hervé.

Thérèse rentrée chez elle pour le coucher de ses enfants, Lilou et Pompon montés avec leurs bonnes, la conversation revint au même éternel sujet, entre Hervé et Yucca. Ils finissaient par en être hantés autant l’un que l’autre et s’y acharnaient, inlassables, sans aucun résultat, du reste.

Le lendemain, un peu avant neuf heures, Lilou et Pompon se dirigeaient vers la maison Andelot.

« Il est trop tôt ! protesta René ; on ne fait pas de visites le matin. »

Mais ils ne voulurent rien entendre ; si bien que, désespérant de les convaincre, René Brion prit le parti de les suivre.