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JULES VERNE

gers par-dessus le bord ?… Bien qu’il fût facile de les surprendre en plein sommeil, était-on assuré qu’ils ne chercheraient pas à se défendre, qu’ils n’appelleraient pas au secours, que leurs cris ne seraient pas entendus des hommes de quart des autres bâtiments ?…

C’est ce que Harry Markel, non sans peine, fit comprendre à John Carpenter, à Corty, à tous ces misérables pressés d’en finir, et ils durent se rendre. Mais si l’Alert eut été seulement de quatre à cinq milles au large, nul doute que cette nuit eût été la dernière pour M. Horatio Patterson et les jeunes lauréats d’Antilian School.

Le lendemain, dès cinq heures, Louis Clodion, Roger Hinsdale et leurs camarades allaient et venaient sur la dunette, tandis que, moins impatient, moins vif, M. Patterson continuait à se prélasser dans son cadre.

Ni Harry Markel ni le maître d’équipage n’étaient encore levés. Leur entretien s’était continué très avant dans la nuit. Ce qu’ils guettaient, c’était l’arrivée de la brise, qui ne souffla ni de la terre ni du large. N’y en eût-il que de quoi remplir les voiles hautes, ils n’auraient pas hésité à lever l’ancre, en prenant garde de ne point réveiller les passagers, et ils se fussent dégagés de cette flottille qui les entourait. Mais, vers quatre heures du matin, la marée étant basse, le flot prêt à remonter, ils avaient dû renoncer à tout espoir de s’éloigner de Roberts-Cove. Aussi avaient-ils réintégré, l’un sa cabine, sous la dunette, l’autre la sienne, près du poste de l’équipage, afin d’y dormir pendant quelques heures.

Les jeunes garçons ne rencontrèrent donc que Corty à l’arrière, tandis que deux des matelots faisaient le quart à l’avant.

Ils adressèrent à cet homme la seule question qu’il fût naturel de faire :

« Et le temps ?…

— Trop beau.

— Et le vent ?…

— Pas de quoi éteindre une chandelle ! »

Le soleil débordait alors de l’horizon, au large du canal de Saint-Georges, au milieu d’une brouée de vapeurs chaudes. Ces brumes se dissipèrent presque aussitôt, et la mer étincela sous les premiers rayons de cette matinée.

À sept heures, Harry Markel, ouvrant la porte de sa cabine, rencontra M. Patterson, qui sortait de la sienne. Il y eut d’une part un aimable bonjour, formulé dans les termes les meilleurs, et de l’autre une simple inclination de tête.

M. Patterson monta sur la dunette, où il trouva tout son monde.

« Eh bien ! jeunes lauréats, déclama-t-il, est-ce aujourd’hui que nous allons labourer de notre proue ardente l’immensité liquide ?…

— Je crains plutôt que nous ne perdions encore cette journée, monsieur Patterson, répondit Roger Hinsdale, montrant cette mer calme que la longue boule gonflait à peine.

— Alors, le soir venu, diem perdidi, pourrai-je m’écrier, comme Titus…

— Sans doute, répliqua Louis Clodion ; mais c’était parce que Titus n’avait pu faire le bien, et nous, ce sera parce que nous n’aurons pu partir ! »

En ce moment, Harry Markel et John Carpenter, causant à l’avant, furent interrompus par Corty, qui leur dit à voix basse :

« Prenons garde…

— Qu’y a-t-il ?… demanda le maître d’équipage.

— Regardez… mais ne vous montrez pas », répondit Corty, en indiquant du doigt une partie de la côte dominée par de hautes falaises.

Sur la crête, s’avançait une troupe d’une vingtaine d’hommes. Ils circulaient, observant tantôt du côté de la campagne, tantôt du côté de la mer.

« Ce sont les constables… dit Corty.

— Oui… fit Harry Markel.