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guère la relique rapportée de la grotte par son père, le petit chapeau noir aplati, écrasé ; on n’y avait pas touché. Il était tel que le chevalier l’avait rapporté. Tout à coup, la grande sœur se pencha et examina attentivement le tricorne. Le chevalier vint voir ce qu’elle regardait sans rien dire, l’air effrayé. Grande Manon suivit du doigt la trace et le contour marqués visiblement par l’empreinte boueuse d’une semelle de botte d’une grande taille qui avait dû se poser sur le chapeau. Ce n’était certainement pas le soulier d’Yvon qui avait imprimé une empreinte de cette taille.

« Les contrebandiers ! », murmura le chevalier.

Mais, vivement, Grande Manon pesa sur le bras de son père, l’invitant à se taire, clignant de l’œil du côté du vieillard, dont il ne fallait pas augmenter l’inquiétude. Le chevalier se tut. Il était tout pâle et il est probable qu’il pensait justement à faire ce que le vieux baron lui ordonna un instant après :

« Chevalier, votre fils n’est pas mort. Partez. Allez à sa recherche. »

Pendant trois jours, en effet, le père parcourut la côte à cheval, interrogeant les pêcheurs des villages voisins de la mer, ainsi que le notaire l’avait conseillé. Aucun indice d’Yvon. Et comme, à son retour à Penhoël, rien non plus n’était venu de la part des ravisseurs présumés de l’enfant, le chevalier de Valjacquelein n’y tint plus : il entreprit et fit le voyage de Paris.

C’était, à cette époque, une grande affaire ; c’en était une plus grande encore en ce moment. L’autorité se trouvait alors partagée en France entre divers pouvoirs, et, parmi ces pouvoirs, celui du roi, toujours roi de nom et de situation, décroissait chaque jour. L’Assemblée gouvernait réellement. Mais il s’élevait contre elle des résistances, et surtout en Bretagne. Il y avait des prises d’armes un peu partout, et quantité de gens profitaient du trouble général pour tenir campagne.

Néanmoins, le chevalier arriva sans encombre à Paris. Là, il commença à se rendre compte de l’état de dépendance dangereuse où était tombée la puissance royale et vit combien celle-ci était réduite. Louis XVI était plutôt prisonnier que roi. Le chevalier fit ce qu’il put pour lui être présenté ; il n’y parvint pas. On le renvoya au ministre qui, plus puissant que le roi, ne l’était cependant guère auprès de l’Assemblée. M. de Valjacquelein eut grand’peine à obtenir une audience de ce personnage surchargé de travail et de soucis, et qui ne pouvait pas faire grand état d’un pauvre gentilhomme breton égaré au milieu de la bagarre politique. Maître Hornek, de Quimper, était loin de supposer que les choses en fussent venues à ce point, quand il avait parlé au gentilhomme d’aller se jeter aux pieds du roi, de demander l’intervention de la marine royale. Il n’existait plus que peu de marine, et elle n’était plus, pour ainsi dire, royale que de nom.

Le jour marqué pour son audience, le chevalier, introduit dans l’antichambre du ministre, fut invité à s’asseoir. Une dame en grande toilette, poudrée à blanc, perruque haute, attendait elle-même déjà. Cette dame fut reçue presque aussitôt. Resté seul, le père d’Yvon s’absorba dans sa tristesse, et il médita sur son découragement. Ses yeux se portèrent par hasard sur le siège que la dame venait de quitter et son attention fut attirée par un objet qu’elle y avait oublié. Il le regarda de plus près, machinalement d’abord, puis, très intéressé.

C’était une boîte à poudre. Sur le couvercle, une miniature d’une extrême finesse représentait le visage et le buste d’une enfant. Cette peinture offrait une ressemblance frappante avec le portrait du médaillon envoyé par Yvon. Il n’y avait peut-être là qu’une coïncidence. Le ministre reçut enfin le chevalier et écouta sa requête avec politesse ; mais il était visiblement occupé d’autre chose. Il le fit répéter,