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Entre temps, il est vrai, un long et mystérieux colloque avait eu lieu de belle-mère à bru ; un entretien au cours duquel toutes deux avaient pleuré, et dont les derniers mots furent :

« Pardonne-moi, Gisèle. Je suis mère… Moi aussi j’ai été trompée… Mais qu’importe cela ! Réfléchis : quelle différence y vois-tu, somme toute ?

— C’est vrai, avait répondu la jeune femme amèrement ; elle n’est pas grande.

— Ce qui importe, c’est l’avenir. Si tu as des enfants, obtiens que le second de tes fils reprenne notre nom, puisqu’il tombe en quenouille. Tu auras l’orgueil de faire revivre les Liernay-Sauvetal. Et surtout que ce rameau greffé sur la vieille souche reste pur de toute mésalliance.

— Fiez-vous en à moi ! » avait répondu Gisèle.

Deux ans plus tard, Lilou et Pompon, — Louis et Paul — venaient au monde, n’ayant déjà plus leur aïeule. Et, moins d’un an après, ils perdaient leur mère, emportée en quelques jours.

Avant la mort de la jeune baronne, il se passa ceci :

Au moment de recevoir les suprêmes secours de route, saisie d’un scrupule, elle soumit ce qui la troublait au ministre de Dieu, et, sur son conseil, résolut de confier à Hervé ce que lui avait révélé sa mère.

Mais le baron n’était pas à l’hôtel. Voulant lui éviter la douleur d’assister à la cérémonie qui allait s’accomplir, Gisèle l’avait envoyé chercher un médecin en renom qui habitait à l’autre bout de Paris ; et, lorsque Hervé ramena le docteur R…, la congestion avait fait des progrès tels que la mourante ne put qu’articuler :

« Aimez bien nos enfants. Ne vendez pas Vielprat où vous êtes né. Allez-y. Vous apprendrez sans peine ce que votre mère et moi n’aurions pas dû vous taire… Je n’ai plus assez de force à cette heure pour vous en instruire… »

Cette dernière recommandation se perdit dans l’adieu. La mémoire d’Hervé en garda le souvenir, néanmoins, et devait plus tard le lui rappeler.

Il pleura sincèrement sa jeune femme ; d’abord parce qu’il était d’un naturel aimant ; et puis aussi parce que, en dépit des divergences de vues qui, déjà, avaient creusé entre eux un fossé auquel le temps eût donné des proportions d’abîme, peut-être, un lien très fort n’avait cessé de les unir : leurs enfants, qu’ils aimaient d’un égal amour.

Toutefois le chagrin d’Hervé s’apaisa vite. En se retrouvant libre, il sentit combien cette double tutelle avait lourdement pesé sur lui.

L’indépendance lui semblait un tel bien, qu’à en goûter trop vivement le charme, il se le reprochait parfois comme une ingratitude envers les deux mortes sincèrement aimées malgré tout.

C’est dans un de ces moments d’involontaire allégresse que, se remémorant les derniers adieux de sa femme, afin de se forcer au chagrin, Hervé se rappela sa recommandation touchant la terre de Vielprat ; recommandation si surprenante dans sa forme qu’il s’étonna de n’en pas avoir été frappé davantage.

Cela ressemblait à l’aveu d’un remords… Quel secret sa mère lui avait-elle celé à lui, dont Gisèle reçut la confidence ?… El pourquoi s’était-il vu mettre à l’écart d’une révélation le tenant de si près qu’il lui était maintenant intimé d’aller au-devant ?

Se rendre à Vielprat : rien de plus simple, cette terre lui étant attribuée de droit dans les partages, par une disposition testamentaire de son aïeul.

Lui serait-il aussi aisé de découvrir ce que n’avait pas eu le temps de lui révéler la morte ?… il en doutait…

Aucun point de repère, puisqu’il n’existait,