Page:Hetzel - Verne - Magasin d’Éducation et de Récréation, 1903, tomes 17 et 18.djvu/176

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
168
JULES VERNE

ne compromettraient pas le voyage ?… Et que dirait Mrs Kethlen Seymour ?… Et que penserait le directeur d’Antilian School… Et quelle responsabilité pour le Mentor qui comprit toute la gravité de cette argumentation ?…

La question était vidée, on resterait à bord. Puis, dans la conversation qui se prolongea et à laquelle Harry Markel ne put refuser de prendre part, on causa du voyage. Roger Hinsdale demanda si l’Alert avait déjà fait la traversée de l’Angleterre aux Antilles.

« Non, monsieur, répondit Harry Markel. Notre navire n’a effectué jusqu’ici que deux voyages dans la mer des Indes.

— Mais, vous, capitaine, demanda Hubert Perkins, connaissez-vous les Antilles ?…

— Je ne les connais pas.

— Alors, fit observer M. Horatio Patterson, il est possible à un marin d’aller tout droit là où il n’a jamais été…

— Comment donc, s’écria Tony Renault, mais les yeux fermés…

— Non, répondit Harry Markel, les yeux ouverts, en faisant son point, en consultant les cartes, en relevant la direction à suivre…

— Et nous verrons tout cela ?… dit Magnus Anders.

— Tout cela, mais à la condition d’être en mer au lieu de moisir au fond d’une baie ! »

Louis Clodion et ses camarades se résignèrent donc. Mais, de ce qu’ils auraient à passer la journée entière à bord de l’Alert, sans avoir eu la permission de débarquer, il ne faudrait pas déduire que cette journée leur paraîtrait longue. Non ! il ne leur viendrait même pas à l’idée de se faire conduire sur les grèves voisines, — ce que Harry Markel eut accordé sans doute, car il ne pouvait en résulter aucun danger pour lui. S’asseoir sur les bancs de la dunette, se balancer sur les rockings-chairs, se promener sur le pont, monter aux hunes ou aux barres, est-ce que cela ne suffirait pas à remplir l’après-midi, sans s’être ennuyé un instant ?

Et puis, bien que la baie de Cork fût au calme, elle ne présentait pas moins une certaine animation. Le mouvement du port de Queenstown n’était pas interrompu parce que la brise persistait à ne point se lever. Aussi les lorgnettes des jeunes pensionnaires et la longue-vue considérable — deux pieds quatre pouces — de M. Horatio Patterson fonctionnaient-elles sans cesse. Il ne fallait rien perdre du va-et-vient des embarcations en train de pêcher dans la baie, des chaloupes à vapeur qui faisaient le service du littoral, des tugs qui donnaient la remorque aux voiliers, pressés de mettre dehors, des steamers transatlantiques et autres qui entraient ou sortaient, et le nombre en est grand chaque jour dans cette baie de Cork.

D’ailleurs, après le dîner de cinq heures, qui valut le déjeuner, et à propos duquel M. Horatio Patterson fit à Ranyah Cogh des compliments très mérités, lorsque les passagers remontèrent sur la dunette, Harry Markel leur annonça que la brise de terre commençait à se faire sentir. Très probablement, pour peu qu’elle tînt une heure encore, il se déciderait à appareiller.

Que l’on juge si cette nouvelle fut bien accueillie !

En effet, vers le nord-est apparaissaient des nuages qui permettaient de croire à un changement de temps. Sans doute, ils se levaient de terre, et mieux eût valu qu’ils vinssent du large. Mais, enfin, l’Alert pouvait quitter son mouillage, et, une fois au delà de Roche-Pointe, on agirait suivant les circonstances.

« Tout le monde sur le pont, commanda Harry Markel, et pare à lever l’ancre ».

Quelques hommes vinrent au guindeau, aidés des jeunes garçons qui voulurent leur donner la main. Pendant ce temps, les voiles étaient larguées, les vergues hissées à bloc. Puis, lorsque l’ancre fut à pic, tandis qu’elle remontait au bossoir, le trois-mâts prit de l’erre sous sa misaine, ses focs, ses huniers,