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et, quand il retomba, il la tenait ainsi engagée dans la corde de l’une des caisses. Il put, en manœuvrant cette espèce de levier, attirer la boite jusqu’au bord de l’armoire. Alors, il fit comme il avait fait pour la porte. Manette engagea la tringle entre la corde et la paroi du mur, et quand Yves sauta après, son poids fit basculer la boite. Elle tomba sur le sol de la grotte. Yvon en était maître. Il dénoua avec patience pour conserver la corde en son entier. Cela l’intéressait bien plus que les vivres qu’il espérait trouver. Et pourtant, comme il avait faim !

Cette caisse contenait de la cassonade, c’est-à-dire du sucre. Sans réfléchir à la soif qu’il allait donner à la petite fille et se donner à lui-même, Yves mit un peu de la matière sucrée dans la bouche de Manette et en croqua sa part ; puis il monta à son tour dans l’armoire à l’aide de la corde malheureusement trop peu longue pour l’évasion à laquelle il pensait… Il lui suffit, pour gagner l’armoire, de faire engager un nœud, par Manette, dans le gond de la porte et il se hissa aussitôt comme un singe.

Yves examina les autres caisses. Aucune n’était entourée de corde ! Il en aurait pleuré Avec une seconde corde pareille à celle qu’ils venaient de découvrir, Yves croyait qu’il eût pu sortir de la grotte. Il en avait déjà calculé les moyens.

Il ouvrit tout ce qui était emmagasiné dans l’armoire, sauf une énorme caisse clouée, la dernière, extrêmement lourde et placée tout au fond. Il sortit d’abord d’un grand coffre une pièce de soie jaune, d’Orient, de toute beauté, qui fit pousser à Manette des cris d’admiration, et plusieurs autres pièces de soie, les unes brochées, les autres unies, de magnifiques couleurs, jonchèrent le sol de la caverne. Manette, enthousiasmée, allait de l’une à l’autre, en tirait un peu, et s’enveloppait les épaules dans des châles improvisés de plus en plus beaux.

« Suis belle, dis, grand Yvon ? »

Et, pleine d’animation, les yeux étincelants, elle recommençait avec une autre étoffe.

« Donne-moi à boire, dis. »

Il n’y avait que de l’eau-de-vie !… Le coco était épuisé depuis la veille. Boire de l’eau-de-vie !… Cela ne rafraîchit pas, ne calme pas la soif, au contraire, et cela tue. Allaient-ils mourir de soif et bientôt de faim, malgré cette découverte ? Oh ! s’il tombait un peu d’eau de pluie, par le puits d’entrée, comme le premier jour ! Yvon eut vidé une bouteille d’eau-de-vie et l’eût remplie de cette précieuse eau dont on fait si peu de cas quand on est libre, et faute de quoi, souvent des marins, des voyageurs dans le désert et des prisonniers sont morts.

« Je n’ai rien à te donner à boire, dit Yvon.

— Y en a dans les bouteilles.

— Je te dis que c’est de l’eau qui brûle, ce n’est pas de l’eau qu’on boit.

— Mais j’ai soif… j’ai soif ! Donne-moi à boire ? »

Yves laissa aller ses bras avec découragement. Certainement, dans les caisses qui restaient à ouvrir, ce n’était pas de l’eau qu’il allait trouver.

Néanmoins il ouvrit et ce fut encore du tabac. Dans un paquet à part étaient un certain nombre de chandelles ; cela eût fait plaisir à Yvon, si on eût possédé d’ailleurs de quoi boire et manger, car c’était de la lumière pour les longues soirées, les plus longues nuits.

Il ne restait plus que la grande caisse clouée, qui tenait tout le fond de l’excavation. Yves ne savait comment l’attaquer, et pourtant il voulait absolument savoir ce qu’elle contenait. La briser, il ne fallait pas y songer : elle était trop solide. Y mettre le feu ? L’incendie n’irait pas loin, mais la caisse serait consumée, car on n’avait pas d’eau pour arrêter les progrès du feu ; et qui sait si la fumée qui se dégagerait n’étoufferait pas les prisonniers ?