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moins élevée qu’auprès de l’habitation ; néanmoins, mesurée d’en bas, elle semblait encore inaccessible.

Un seul endroit s’abaissait brusquement, offrant à peu près à l’œil l’aspect d’une coupe ébréchée vers son centre.

« Avec une échelle, je crois qu’on pourrait y atteindre, se dit Claire ; il faut que je m’en assure. »

Une échelle ! Justement, l’avant-veille, Modeste en avait apporté une petite sous un cerisier dont les fruits commençaient de mûrir.

Elle s’en fut la chercher, l’arc-bouta contre un sapin, l’encastra du haut, entre deux saillies du roc, et contempla son œuvre, ravie : c’était solide comme un escalier !

Il s’agissait maintenant de s’assurer si, du côté du parc, le terrain se prêtait à l’escalade. Elle franchit les échelons, prit pied sur le plateau légèrement creusé au centre, acquit la certitude qu’il offrait toute sécurité comme passage, et, parvenue à l’extrême bord du rocher, fit cette agréable découverte que le sol s’élevait un peu chez le voisin. Un banc de jardin subirait, à la rigueur, pour joindre les deux degrés naturels facilitant l’accès du sommet.

Au reste, elle serait là pour recevoir elle-même les enfants.

Il ne lui restait qu’à transporter le banc, et les communications seraient établies, ce qui lui permettrait de contenter son caprice, en introduisant chez grand’mère Lilou et Pompon, sans avoir à se servir de l’escalier secret.

Claire se promit de se glisser dans le parc le lendemain, avant l’heure où les jardiniers se mettaient à l’ouvrage. Elle ne demeurerait sur la propriété des de Kosen que le temps nécessaire à découvrir un banc et à le transporter sur les lieux : dix minutes. À cette heure matinale, et dans ce court espace de temps, une rencontre n’était point à redouter. Elle reprit le chemin de la maison. On avait mis la pâtisserie au four : Sidonie surveillait la cuisson.

« Elle va s’informer de la destination de mes petites tartes », se dit Claire, contrariée. Mais Pétiôto ne demanda rien, s’étant imaginé que sa jeune cousine avait pris fantaisie de goûter avec de la frangipane toute chaude. Quand on rapporta les tôles du four, elle glissa les deux gâteaux sur un plateau de porcelaine qu’elle tendit à la jeune fille, disant :

« Voici ta part, Clairette.

— Merci, Pétiôto, mais ce n’est pas pour moi.

— Pour qui donc ?

— Je vous dirai cela demain. »

Elle s’enfuit emportant ses tartes, qu’elle serra dans sa chambre.

Comme elle redescendait, peu après, Sidonie accourut du fond de la cuisine et l’arrêta au passage.

« Rogatienne a mal à la gorge, tu devrais bien lire le journal à ta grand’mère.

— Ah çà ! protesta Claire, allez-vous toutes vous donner le mot pour m’imposer des corvées ? Je serais désolée que grand’mère fût privée d’entendre son journal, puisqu’il l’intéresse ; je vais le lui lire ; mais je n’entends pas que cela passe à l’état d’habitude, ma cousine. C’est assommant de lire un journal ! Je ne comprends rien à la politique ; je m’endormirai en lisant, c’est certain.

— Rassure-toi, mignonne, repartit Sidonie avec une grande douceur, on ne mettra pas souvent ta bonne volonté à l’épreuve. C’est seulement pour aujourd’hui.

— Bon. J’y vais. »

Claire se rendit auprès de sa grand’mère. Elle était de méchante humeur et il y paraissait sur sa physionomie.

« Je remplace ta lectrice ordinaire, annonça-t-elle en venant s’asseoir sur une chaise basse, tout proche de l’aïeule, alors seule dans la grande pièce.

— Cela va t’ennuyer, chérie. »