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Car, elle s’y obstinait, à garder le silence au sujet de sa découverte. Elle le garderait, elle se l’était juré, jusqu’à ce qu’elle eût pénétré le mystère qui s’y rattachait.

Et elle se sentait loin du but.

Les précautions dont s’entouraient les abords de l’escalier, tant d’un côté que de l’autre, lui demeuraient une énigme aussi obscure que le premier jour, bien qu’elle ne cessât guère d’y appliquer son esprit.

Où faire passer ses petits voisins ? Par une brèche de la palissade, puisqu’elle pourrissait, disait-on.

Modeste lui avait appris que les pieux destinés à la réparer devaient subir une autre opération, après celle du four : on en plonge la pointe dans le goudron, ce qui les rend inutilisables le jour même : Claire se promit d’aller inspecter le terrain dès que le soleil, qui recommençait de luire, aurait séché les taillis.

Elle tourna la bouillie encore quelques minutes. Puis, lassée d’une si longue immobilité :

« Dites donc, Modeste, cria-t-elle, j’en ai assez.

— J’y pensais ben, demoiselle ; je revenais.

— Vous avez toujours besoin de moi ?

— Non », répondit la jeune servante, se mettant à rire.

Elle avait tout de suite mesuré la valeur de l’aide qui s’offrait, et s’était arrangée pour se tirer d’affaire sans elle.

« Alors je m’en vais. La pluie a cessé ; j’en profite pour prendre un peu l’air.

— Ben vrai, mademoiselle Claire, si vous sentez le moisi, ça ne sera pas de votre faute.

— Je reviendrai quand votre pâte sera pétrie. Si, par hasard, je n’étais pas là à temps, n’oubliez pas de me confectionner deux toutes petites tartes, que vous mettrez de côté sans rien dire.

— Ça sera fait.

— Où serre-t-on les sécateurs ?

— Là, dans le tiroir », fit la jeune servante, en indiquant un meuble du vestibule.

Munie de l’instrument dont elle pensait avoir besoin, Claire se rendit tout droit au fond du petit bois.

Elle n’avait jamais exploré cette partie du jardin : c’était le chaos. La maigre végétation qui croissait dans l’intervalle des rochers affleurant le sol et le trouant par place, révélait l’absence d’humus. On avait renoncé à tirer parti de ce petit coin, où, livrée à elle-même, la nature n’avait guère pu faire prospérer que des ronces, de courtes bruyères et quelques arbrisseaux.

Son sécateur à la main, Claire, se frayant un chemin parmi les ronces, parvint jusqu’auprès de la palissade.

« Pas moyen d’utiliser une brèche, murmura-t-elle, désappointée, en mesurant de l’œil la ravine peu profonde, mais à déclivité rapide, au bord de laquelle était tracée la limite du jardin ; ces petits dégringoleraient neuf fois sur dix… Et, cependant, il y eut là une allée, c’est certain. Elle devait tourner autour du massif de rochers, soutenue par l’empierrement dont j’aperçois les vestiges. Par là, on avait un accès facile dans le parc… On l’aura supprimée en posant la palissade, lorsque le vieux baron de Kosen donna la maison à grand-père : chacun chez soi… c’est compréhensible. Ce qui l’est moins, c’est que, d’un côté, on s’enlève la possibilité de voisiner commodément, au grand jour, pour, de l’autre, s’en procurer le moyen, secrètement… à l’aide d’un escalier invraisemblable ! Qu’y a-t-il là-dessous ? … »

Bien que reprise plus fortement que jamais par l’insoluble problème, Clairette ne perdait pas de vue le motif de sa promenade.

Toujours taillant devant elle ce qui lui faisait obstacle, elle avait obliqué de façon à se rapprocher de la ligne des sapins, dont les derniers se mêlaient aux arbres des massifs.

La muraille basaltique était de beaucoup