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BOURSES DE VOYAGE

— Dis-lui qu’ils sont en baisse, et il va s’en aller… suggéra Corty.

— En baisse, répondit Harry Markel.

— De combien ?…

— Trois shillings six pence… souffla Corty.

— Trois shillings six pence… répéta Harry Markel.

— Alors… rien à faire ici, reprit James Brown. Merci, capitaine.

— À votre service !

— Pas de commissions pour Liverpool ?…

— Non.

— Bon voyage à l’Alert !

— Bon voyage au Concordia ! »

Ces renseignements obtenus, — et l’on peut juger s’il convenait d’y ajouter foi, le steamer manœuvra pour sortir de l’anse Farmar. Dès qu’il fut en dehors de la pointe, il se mit en vitesse, et, cap au nord-est, prit direction vers Liverpool.

À ce moment, John Carpenter fit cette réflexion très naturelle :

« Pour nous remercier de l’avoir si exactement informé du cours des nickels, le capitaine du Concordia aurait bien dû nous donner la remorque et nous sortir de cette maudite baie ! »

Du reste, lors même que la brise se serait levée, il était trop tard pour en profiter maintenant. Il se faisait grand mouvement entre Queenstown et le goulet. Des barques de pêche allaient et venaient, et plusieurs se disposaient précisément à tendre leurs lignes au revers de la pointe, à quelques encablures du navire. Aussi Harry Markel et ses compagnons, par prudence, ne se montraient guère. Si d’ailleurs l’Alert eût appareillé avant l’arrivée de ses passagers qui étaient attendus d’une heure à l’autre, ce départ inexplicable eût paru suspect. Le mieux était encore de ne point mettre à la voile avant la nuit, en admettant que ce fût possible.

On le comprend, la situation ne laissait pas d’être des plus inquiétantes : le moment approchait où le mentor et ses jeunes compagnons de voyage se rendraient à bord de l’Alert.

Il ne faut pas oublier que le départ avait été fixé au 30 juin, par Mrs Kethlen Seymour, d’accord avec le directeur d’Antilian School. Or, on était au 30 juin. M. Patterson, débarqué la veille au soir, ne voudrait pas se retarder d’une heure. En homme aussi minutieux qu’exact, il ne se donnerait même pas le loisir de visiter ni Cork, ni Queenstown, bien qu’il ne connût aucune de ces deux villes. Après une bonne nuit, pendant laquelle il se serait remis des fatigues de la traversée, il se lèverait, il éveillerait tout son monde, il se rendrait au port, on lui indiquerait le mouillage de l’Alert, et une embarcation s’offrirait à l’y conduire.

Ces réflexions, et bien qu’il ne connût pas l’homme qu’était M. Patterson, venaient naturellement à l’esprit d’Harry Markel. Tout en ayant soin de ne pas paraître sur la dunette, par crainte d’être aperçu des pêcheurs, il ne laissait pas de surveiller attentivement la baie. À travers une des fenêtres du carré de l’arrière, Corty, de son côté, une longue-vue aux yeux, observait tout le mouvement qui se faisait dans le port, dont il distinguait parfaitement les quais et les maisons à cette distance de deux milles. Le ciel, en effet, était devenu très clair. Le soleil montait sur un horizon très pur, dont il avait dissipé les dernières brumes. Mais, nulle apparence de vent, pas même au large, et les signaux des sémaphores indiquaient calme plat en pleine mer.

« Décidément, s’écriait John Carpenter, prison pour prison, autant valait celle de Queenstown !… Au moins avons-nous pu nous en échapper… tandis qu’ici…

— Attends », lui répondit Harry Markel.

Un peu avant dix heures et demie, Corty reparut à la porte de la dunette et dit :

« Il me semble bien avoir aperçu un canot, portant une dizaine de personnes, qui vient de quitter le port…