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BOURSES DE VOYAGE

entre l’Europe et l’Amérique. Entière confiance devait être accordée à ce capitaine Paxton, excellent marin, consciencieux et prudent, au sujet duquel les meilleures références avaient été fournies à Mrs Kethlen Seymour. Les jeunes boursiers et leur mentor trouveraient à bord de l’Alert, en vue de cette destination, tout le confort et aussi toute la sécurité que pouvaient désirer leurs familles. L’aller et le retour s’effectueraient pendant la belle saison, et l’absence des neuf pensionnaires d’Antilian School ne devait pas durer plus de deux mois et demi…

Par malheur, l’Alert n’était plus sous le commandement du capitaine Paxton. Son équipage venait d’être massacré au mouillage de l’anse Farmar. Le navire était entre les mains de la bande de pirates de l’Halifax.

Aux primes lueurs du jour, Harry Markel et John Carpenter examinèrent en détail le bâtiment dont ils s’étaient rendus maîtres. Dès le premier coup d’œil ils en reconnurent les qualités nautiques : finesse de ses formes, excellent tracé de ses lignes d’eau, élancement de l’avant, dégagement de l’arrière, hauteur de sa mâture, large croisure de ses vergues, profondeur de son tirant d’eau qui lui permettait de déployer une grande surface de toile. Assurément, même avec petite brise, s’il fût parti la veille dès neuf heures, il eût franchi le canal de Saint-Georges pendant la nuit, et, au point du jour, il aurait été à quelque trente milles des côtes de l’Irlande.

À l’aube, le ciel se montra toujours couvert de ces nuages bas, ou plutôt de ces brumailles qu’un peu de vent eût dissipées en quelques minutes. Les vapeurs et les eaux se confondaient à moins de trois encablures de l’Alert. En l’absence de brise, ce brouillard humide fondrait-il lorsque le soleil aurait pris plus de force, c’était douteux. D’ailleurs, l’appareillage étant impossible, Harry Markel devait préférer que le brouillard persistât et que le navire fût invisible à son mouillage.

Ce ne fut point ce qui se produisit. Vers sept heures, et sans que l’on sentît un souffle ni de la terre ni du large, ces vapeurs commencèrent à s’éclaircir sous l’influence des rayons solaires, ce qui annonçait une journée chaude que la brise ne rafraîchirait pas. Bientôt la baie se dégagea entièrement.

À deux milles de Panse Farmar tout le panorama du port de Queenstown, puis, plus au fond, les premières maisons de la ville apparurent alors. En avant du port se voyaient nombre de voiliers mouillés çà et là, la plupart, faute de vent, dans l’impossibilité de prendre la mer.

Tant que l’Alert était perdue au milieu des brumes, Harry Markel et ses compagnons ne couraient aucun danger en demeurant à bord. Mais lorsqu’elles commencèrent à se dissiper, n’eût-il pas été prudent de débarquer, de se réfugier à terre ?… Dans une heure ou deux, ne devaient-ils pas s’attendre à recevoir les passagers de l’Alert, puisque, d’après les propos recueillis la veille, les voyageurs venaient d’arriver à Queenstown ?… Serait-il temps aussi, quand ils auraient pris terre au fond de l’anse Farmar, de se jeter à travers la campagne ?…

John Carpenter, Corty et les autres étaient, à ce moment, réunis autour d’Harry Markel, n’attendant qu’un ordre pour embarquer des provisions dans le canot. En quelques coups d’aviron, ils eussent atteint une grève sablonneuse au fond de l’anse.

Mais à la question posée par le maître d’équipage :

« Nous sommes à bord !… » se contenta de répondre Harry Markel.

Ses hommes, ayant confiance en lui, n’en demandèrent pas davantage. Sans doute, Harry Markel avait ses raisons pour parler ainsi.

Cependant la baie prenait une certaine animation. À défaut de voiliers, plusieurs