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été fou d’espérer, de croire que cette lettre et ce bouquet iraient tout seuls au château. Il n’était passé personne sur la grève… Ou, si quelqu’un avait passé, le bouquet n’avait pas été vu… Ou, s’il avait été vu, on n’avait prêté aucune attention à ces fleurs fanées et à ce chiffon de papier qu’on avait du considérer comme un rebut de la fête… Ah ! cette fois, ils étaient bien perdus, définitivement !

Yvon regardait par la lucarne. La mer était haute, à présent. Les vagues avaient dû prendre les fleurs, le billet, balayer la dernière espérance… L’enfant voyait par la pensée le flot s’avancer par poussées larges, atteindre les fleurs, puis s’en aller et les laisser sur le sable, puis revenir plus fort, monter plus haut sur la grève, et, cette fois, remporter avec lui le bouquet qui roulait… Bien souvent, depuis son enfance, il avait assisté à ce petit drame, qui l’amusait : la vague arrivant jusqu’à un objet, le mouillant, le laissant d’abord, et, toujours, finissant par l’emporter, tournoyant… Combien de fois avait-il joué de cette façon avec la vague ! Et maintenant… Maintenant, il avait faim ; et maintenant la soif séchait sa gorge en même temps que l’émotion. Et il attendait d’un moment à l’autre que Manette dit : « J’ai faim ! » du même ton qu’elle avait pris deux fois déjà.

Le silence s’était établi entre les deux enfants : Manette somnolait sans dormir. Elle allait parler ; Yvon l’attendait, et pourtant, au premier son qui sortit de la bouche de la petite fille, il tressauta.

« M’ennuie !… je m’ennuie ! Je veux m’en aller ! Grand Yvon, emmenez-moi d’ici ! »

Yvon ne répondit pas. Il se garda bien de répondre, car, cette fois, il pleurait et il ne voulait pas le montrer à la petite. Il renfonçait douloureusement ses larmes dans sa gorge, mais c’était bien difficile. Ce n’était pas seulement parce qu’il avait soif que ses larmes ne pouvaient plus se ravaler…

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Pourtant il était arrivé au château, le bouquet, et depuis longtemps, et presque tout de suite. Il y avait apporté de la joie.

Mais comment ce billet n’amenait-il pas la délivrance des deux petits prisonniers ? Hélas !…

C’était M. le curé lui-même qui, en quittant Penhoël, pour aller dire sa messe dans un hameau de pêcheurs où il n’y avait qu’une chapelle, avait aperçu le bouquet de roses et s’était étonné de sa présence au milieu des rochers. Le vent avait, en effet, emporté les fleurs, pendant leur chute, un peu loin du pied de la falaise, et quand le bon recteur ramassa le message, le bouquet et le billet trempaient plus d’à moitié dans une petite flaque d’eau de mer, comme il s’en trouve souvent, séjournant d’une marée à l’autre, dans les creux de rochers formant cuvette ; M. le recteur, ainsi que disent les Bretons, remarqua aussitôt cette feuille de papier fixée par une baguette et ficelée d’une manière si apparente au-dessus du bouquet. Et il lut ce qui était écrit, du moins, hélas ! ce qu’il restait de l’écriture d’Yves. Il n’en restait que l’adresse :

à porter tout de suite au chevalier
de valjacquelein.

et les premiers mots de la lettre :

papa, c’est moi, votre yves, qui vous écris. je suis…

L’eau de mer avait lavé tout le surplus de l’inscription sans laisser la moindre trace du sang du pauvre Yvonnaïk !

Le recteur savait trop bien dans quel deuil était plongé le château depuis deux jours. Il n’eut pas plus tôt lu ces lignes inachevées, qu’il rebroussa chemin précipitamment. Les gens de Penhoël purent voir pour la première fois, avec stupéfaction, leur curé, la soutane relevée, courant de toutes ses forces du côté du château, et tenant un bouquet à la main. S’ils n’avaient pas deviné qu’il y avait sans doute du nouveau relativement au petit Yvon,