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FILLE UNIQUE

CHAPITRE III (Suite).

Vers deux heures, Sidonie monta la relancer, son chapeau déjà sur la tête.

Elle et Rogatienne se rendaient régulièrement aux vêpres dans la belle saison. L’office terminé, elles allaient faire une visite à la sœur du curé, leur amie, et ne remontaient qu’à six heures.

Grand’mère demeurait sous la seule garde de Théofrède, qui prenait à ce moment-là les ordres pour toute la semaine, et de Modeste, si fière de voir Madame venir à sa cuisine, qu’elle employait son après-midi du samedi à tout astiquer, en vue de cet événement.

« Tu n’es pas prête, s’écria Sidonie ; est-ce que tu ne comptes pas nous accompagner ?

— Pas aujourd’hui, repartit Claire, prenant l’air affairé. Vous le voyez, j’écris à maman. Je tiens à ce que le facteur emporte ma lettre quand il va passer tout à l’heure. Et puis… enfin… j’irai aux vêpres dimanche prochain et tous les autres dimanches, mais pas celui-ci.

— Tu n’es pas souffrante !… Je resterais…

— Pas souffrante du tout », s’empressa de protester la jeune fille, déjà inquiète pour ses projets.

Elle fit mine de s’absorber dans sa correspondance ; ce que voyant, Sidonie descendit rejoindre sa sœur, dont la voix aigre appelait sans relâche :

« Pétiôto ! Allons donc ! vite ! nous arriverons au magnificat ! »

Claire n’attendit même pas que la porte de la cour se refermât sur elles.

Sa lettre était finie. Elle la cacheta, la porta sur la table du vestibule où, en revenant de Pradelles chercher le courrier à distribuer, le facteur la prendrait ; puis, certaine d’avoir devant elle trois bonnes heures, elle courut à son escalier.

Deux minutes plus tard, elle posait le pied dans le parc.

Théofrède aurait pu prendre des leçons quant à la manière de ratisser les allées.

Malgré cela, le vaste enclos n’avait point perdu sa physionomie agreste.

Devant ces beaux arbres croissant à leur caprice sur ce sol tourmenté, on se sentait en face de la vraie nature, partout respectée.

Le premier banc établi par Claire était assez éloigné. Il se composait d’un tronc d’arbre à demi pourri, roulé, avec quelles peines ! jusque contre un gros rocher, à peu de distance d’un hêtre.

On y était si bien !… L’aurait-on enlevé ? Non ; elle l’entrevoyait à sa place. Sans doute, on n’y avait pas pris garde ? Eh bien, si ; on l’avait même étayé de quelques pierres qui ne le déparaient pas.

Claire s’y assit.

Devant elle s’ouvrait une gorge profonde. Le petit vallon caché dans le creux échappait à la vue, mais l’échancrure du versant opposé prolongeait l’horizon jusqu’aux monts du Velay.

« C’est bien cela ! oui, murmura Claire. Je me souvenais de tout ! Cette pente boisée et, dans le lointain, par delà le plateau, ces falaises rougeâtres, comme si une flamme léchait leur base, je les reconnais… Mon Dieu, que c’est beau ! »

Elle escalada le rocher, aisément accessible par le côté nord.

C’était maintenant le profil perdu des ruines d’Arlempdes qu’elle entrevoyait entre la Loire si profonde et les petites maisons basses du village.

Le dernier coup des vêpres tintait dans l’air léger, pareil aux notes d’un cantique.

Un écho sonna l’appel à son tour… Puis