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JULES VERNE

cœur atteint, tomba sur le pont, où, après quelques convulsions, il rendit le dernier soupir.

Quant à Harry Markel et aux deux autres, Corty et Ranyah Cogh, ils avaient gagné vers la dunette, et Corty dit à voix basse :

« Au capitaine, maintenant. »

La cabine du capitaine Paxton occupait sous la dunette l’angle de bâbord. On y pénétrait par une porte qui s’ouvrait sur le carré. Une fenêtre donnant sur le pont l’éclairait, et, par cette fenêtre, munie d’un rideau, filtrait la lueur de la lampe, suspendue à son double cercle.

À cette heure, le capitaine Paxton n’était pas encore couché. Il rangeait les papiers de bord en prévision du départ à la marée du matin, après l’arrivée de ses passagers.

Soudain, la porte de sa cabine s’ouvrit brusquement, et, avant qu’il eût pu se reconnaître, il râlait sous le coutelas d’Harry Markel, criant :

« À moi !… à moi !… »

Ces cris ayant été entendus du poste de l’équipage, cinq ou six matelots s’élancèrent hors du capot.

Corty et les autres les attendaient à l’entrée du poste, et, à mesure qu’ils sortaient, ils étaient frappés, sans avoir pu se mettre en défense.

En quelques instants, six matelots furent étendus sur le pont. Mortellement blessés, quelques-uns poussaient des cris d’épouvante et de douleur. Mais, ces cris, qui aurait pu les entendre, et comment un secours serait-il arrivé au fond de cette anse où l’Alert se trouvait seul au mouillage, au milieu de cette profonde obscurité de la nuit ?…

Six hommes et le capitaine ne composaient pas tout l’équipage. Trois ou quatre devaient être dans le poste, d’où ils n’osaient sortir…

On les en tira, malgré leur résistance, et, en un instant, le pont fut rouge du sang de onze cadavres.

« Les corps à la mer !… » cria Corty.

Et il se préparait à jeter les cadavres par-dessus le bord.

« Tiens bon… lui dit Harry Markel. Le flot les ramènerait vers le port… Attendons la marée descendante, et elle les entraînera au large ! »

Harry Markel et ses compagnons étaient maintenant maîtres de l’Alert.

VI
Maîtres à bord.

Le coup avait réussi. Cette première partie du drame s’était accomplie dans toute son horreur et en des conditions d’extraordinaire audace.

Après l’Halifax, Harry Markel était le maître de l’Alert. Personne ne pourrait rien soupçonner du drame qui venait de se passer, personne ne saurait dénoncer le crime commis dans l’un des ports les plus fréquentés du Rovaume-Uni, à l’entrée de cette baie de Cork, où relâchent les nombreux navires qui mettent en communication l’Europe et l’Amérique.

À présent, ces malfaiteurs n’avaient plus à redouter la police anglaise. Elle n’irait pas les dépister à bord de l’Alert. À eux toute facilité de reprendre le cours de leurs pirateries dans les lointains parages du Pacifique. Ils n’avaient plus qu’à lever l’ancre, à prendre le large, et, en quelques heures, ils seraient hors du canal de Saint-Georges.

Il est vrai, lorsque les pensionnaires d’Antilian School arriveraient pour embarquer sur l’Alert dans la matinée du lendemain, l’Alert ne serait plus à son mouillage, et c’est en vain qu’on le rechercherait dans la baie de Cork ou dans le port de Queenstown.