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Yves, habitué à la vie active sur la grève, n’avait heureusement pas peur de la nuit, et il savait qu’il n’y avait guère à craindre d’autres visiteurs nocturnes que des oiseaux incapables de lui faire du mal, et des rats ; car il connaissait tous les animaux qui vivent à l’état libre en Bretagne.

Il était fils de chasseur. Il avait suivi les chasses. Il existait bien quelques loups dans les bois ; il le savait, mais il savait aussi que les loups ne sont guère dangereux que l’hiver, affamés ; et d’ailleurs un loup ne serait pas sorti plus que lui d’un pareil trou et l’instinct de l’animal l’eût empêché de s’y jeter.

Des intrus qui n’étaient point dangereux avec leurs griffes et leurs dents étaient cependant terriblement à craindre pour les provisions : les rats. Ceux-là, probablement, ne seraient arrêtés ni par le voisinage de l’espèce humaine, ni par le couloir-puits, l’exiguïté de leurs petites pattes leur permettant de grimper sur les roches à pic. Yves trembla pour les derniers vivres qu’il possédait. Il battit le briquet, alluma le reste de la chandelle et, ayant examiné avec soin les gâteaux et la galette de sarrasin, il constata qu’ils n’avaient encore subi aucune atteinte de dents. Le garçon décida que s’il ne trouvait pas un garde-manger absolument sûr, il serrerait les vivres dans ses poches pour dormir.

Il allait éteindre quand il songea à regarder, auparavant, la petite fille qui lui était tombée dans sa solitude. Manette dormait paisiblement, sa petite tête sur sa main, gentille et fine, ne pensant plus à le battre et surtout ayant le bonheur d’être par ses rêves loin de la situation présente. Yves oublia presque, en la considérant, sa propre infortune, pour se dire que, elle aussi, était réservée à un sort très affreux, et que c’était bien dommage.

Il souffla la lumière et s’étendit, appelant le sommeil, qu’il ne trouva qu’assez longtemps après, son esprit cherchant dans le vide des moyens d’évasion, tous impraticables, et des espoirs auxquels il ne pouvait plus raisonnablement s’arrêter.

(La suite prochainement.) Jacques Lermont.


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