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universellement admise, d’honneur se croit obligé à la combattre. Ce n’est pas moi qui ai trouvé celle-là, que la chèvre maudite est nécessaire dans l’Afrique du Nord, pour manger le petit bois sauvage indiqué par Salluste « sur les terres arides et sablonneuses » des collines, pour utiliser cette production spontanée et préparer la voie à des productions cultivées, meilleures… Ce n’est pas moi ; c’est un colon pratique.

Lorsque j’étudiais la Tunisie, pour bien saisir le mécanisme, le jeu des exploitations agricoles, j’ai séjourné chez le directeur d’un grand domaine à quelque distance de Bizerte, chez M. Riban. Dans la conversation, comme tout bon Français, riche d’idées-légende, d’idées-cliché, je servis celle de la chèvre dévastatrice, de la bique musulmane responsable des modifications climatériques par déboisement… Souriant, M. Riban me fit lire une page du livre où il a consigné ses observations et ses réflexions de colon-cultivant.

Lisez :


« … La chèvre, comme l’âne de la fable, était pour nous l’animal auquel on devait tous les maux… C’est par elle que le pays était déboisé, que les sources étaient taries, que la sécheresse était fréquente.

« Je l’ai cru, moi aussi, et je me rappelle avec quelle ardeur je me mis à chasser les chèvres du domaine qui m’était confié.

« Il me semblait que du coup les forêts allaient renaître. En effet, au bout de sept ou huit ans, les touffées de lentisques, de thuyas, de chênes nains broutées par cette race maudite avaient grandi ; ces buissons qui n’avaient que huit à dix centimètres de hauteur ont maintenant une élévation de deux à quatre mètres… ils en resteront là, car ces arbustes ne sont pas susceptibles d’une croissance supérieure. Les troupeaux de bœufs et de moutons qui vivaient à travers ces touffes régulièrement tondues par la dent de la chèvre ne peuvent