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« Pauvre, pauvre Algérie. Ce pays a vraiment la guigne ! Il est traité en paria par la mère-patrie qui, de tout temps, a été prévenue contre sa colonie ! Ne fut-il pas question, au lendemain de la conquête, d’abandonner cette terre merveilleuse que nos armées triomphantes venaient de nous conquérir ! Et depuis, ces sentiments hostiles de la France vis-à-vis de sa fille aînée n’ont fait que s’accroître. On n’a pas manqué une occasion de dénigrer ses produits, de calomnier ses habitants et il n’y a pas d’injures qui aient été épargnées aux Algériens ! Ce sont des buveurs d’absinthe, des chevaliers d’industrie qui ne vivent que d’expédients et qui tyrannisent les malheureux Arabes placés sous leur coupe ! Tout cela a été dit et écrit et c’est l’opinion que la grosse majorité des Français a sur nous !

« Pourquoi ce discrédit ? Pourquoi ces calomnies imméritées ? Pourquoi ? Les raisons en sont bien faciles à déduire. D’abord parce que le Français, trop casanier, ne se fait pas d’opinion par lui-même et admet comme vérités absolues les élucubrations de ceux qui parlent de l’Algérie sans la connaître ! Ensuite et surtout, parce que la concurrence commerciale qui existe, à raison de la similitude des produits, entre la métropole et la colonie fait des Français du Midi et des Algériens de véritables ennemis au point de vue économique. Et qui sait justement si cette hostilité du viticulteur de l’Hérault à l’encontre du colon d’Algérie ne s’est pas manifestée dans le verdict de Montpellier !

« Ce sont là des raisons principales de la scission de plus en plus profonde qui s’opère entre la France et l’Algérie, et, si les procédés de la mère-patrie continuent à être les mêmes, nous allons tout droit, et à toute vitesse, vers le séparatisme. Ceux qui nient le moment où le fossé qui se creuse de plus en plus entre les deux pays deviendra infranchissable ne veulent pas se rendre à l’évidence.

« Les Français métropolitains viennent de moins en moins en Algérie ; par contre, le nombre des Arabes augmente sans cesse et celui des Espagnols, des Italiens et des Maltais qui s’établissent dans la colonie s’accroît chaque jour. Donc, si la France ne fait pas les plus sérieux efforts pour se faire aimer de cette race nouvelle qui se crée — et elle a toujours fait jusqu’ici tout ce qu’il fallait pour s’aliéner les sympathies — avant un siècle d’ici, l’Algérie sera anglaise, allemande, russe ou américaine, mais elle ne sera plus Française. »