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faim des mois, n’a point la voracité que les gens bien élevés et du régime repu ont ici devant les tables « cher ». Elle m’effraie, leur animalité sur la langouste et le bifteck. Ils en portent la livrée. Ils ont bajoues, panses, graisses, qu’ils méprisent chez le Turc, mais qu’ils ne voient pas sur eux. « Cochon de Turc » est leur mot lorsqu’ils voient le Maure promener en lente majesté son ventre que les burnous rendent noble. Ils ne veulent pas voir que leur panse, à eux, ballotte sous un veston sans noblesse.

« La sobriété méridionale est une légende. Voyez Marseille. Les gens y sont maigres quand ils n’ont pas le sou. Mais, comme les Turcs, dès qu’ils ont « de quoi » ils prennent du ventre… et le remplissent du mieux qu’ils peuvent.

Cependant à Marseille, en Italie du Nord, sur la Riviera, sur les bords méditerranéens en contact avec les terres froides, la goinfrerie conserve quelque grâce. Elle a bonne humeur, légèreté même. Il y a des panses marseillaises qui sont sveltes. Les bajoues du courtier qui se remplit de « pieds paquets » et bave de sauces lourdes ne sont pas ignobles ; l’œil bon enfant qui les éclaire ne permet pas qu’on les prenne au tragique ; et l’effroyable labeur des bouches énormes aux dents brillantes, qui broient les os des petits oiseaux, les arêtes des poissons, qui déchirent les viandes, qui hachent, triturent, mastiquent, engloutissent, toute cette mécanique où sont en jeu les forces des bêtes carnassières, de celles qui rongent, de celles qui ruminent et de celles qui happent, lapent et lèchent, tout cela disparaît sous le bon sourire des lèvres rouges ; on ne voit plus l’entonnoir, le gouffre, mais la musiquette à mots aimables, gras quelquefois, gais toujours. La voracité du mangeur n’est point la répugnante animalité de la